L’entreprise allemande Herrenknecht, géant mondial des tunneliers, a remis aux autorités espagnoles son étude de faisabilité du tunnel sous-marin reliant le Maroc à l’Espagne, estimant le projet “techniquement réalisable”. Selon le média espagnol Vozpópuli, le gouvernement dispose de l’étude depuis juin dernier “et, depuis lors, a commencé à la « faire atterrir » en interne dans différentes directions, en vue de jeter les bases d’un appel d’offres au-delà de juin 2026, date limite fixée pour actualiser le projet de loi de 2007.”
Jusque-là qualifié de chimère géopolitique, l’étude donne une consistance possible à une liaison directe entre l’Europe et l’Afrique à travers le détroit de Gibraltar. Le tunnel, entièrement ferroviaire, devrait relier Tanger, au nord du Maroc, à Tarifa, en Andalousie, sur une distance de près de 40 kilomètres, dont 28 sous la mer. Il permettrait de transporter passagers et marchandises à grande vitesse, reliant les deux continents en une demi-heure.
L’obstacle du seuil de Camarinal vaincu ?
Ce seuil est une crête sous-marine située à environ 300 mètres de profondeur, constituée de formations rocheuses complexes et instables, barrière naturelle entre les bassins est et ouest du détroit. Traverser cette zone a longtemps semblé impossible à cause des pressions tectoniques et des risques sismiques. L’étude Herrenknecht montre que les tunneliers modernes, utilisant techniques de forage segmenté et systèmes de stabilisation avancés, peuvent relever ce défi sans compromettre la structure.
Porté par une coopération entre la Société nationale d’études du détroit de Gibraltar (SNED) côté Maroc et la Sociedad Española de Estudios para la Comunicación Fija a través del Estrecho de Gibraltar (SECEGSA) côté Espagne, le projet bénéficie d’un cadre institutionnel solide. Depuis les années 1980, ces deux organismes coordonnent études techniques et géologiques, travaux exploratoires et montage financier. Une feuille de route commune prévoit une décision finale d’ici 2027, avec un tunnel exploratoire lancé en 2028. Cette phase pilote validera le tracé définitif, avant un début possible des travaux en 2031, pour une mise en service vers 2040.
Un pari économique ambitieux
Estimé entre 8,5 et 9 milliards d’euros, le financement associera fonds européens (notamment via le programme Next Generation, un important plan européen de relance économique post-pandémie combinant subventions et prêts destinés à soutenir les infrastructures durables et innovantes), investissements bilatéraux et partenariats public-privé.
L’expérience du tunnel sous la Manche incite toutefois à la prudence : initialement prévu à 10 milliards, il en avait coûté plus de 20 à son inauguration en 1994. Mais, le projet promet des bénéfices substantiels : réduction des coûts logistiques, accélération des échanges commerciaux, essor du tourisme, et meilleure intégration africaine dans les flux économiques européens.
À titre d’illustration, plus de 300 navires traversent quotidiennement le détroit. Le tunnel offrirait une alternative complémentaire, créant un corridor ferroviaire stratégique entre les réseaux nord et sud de la Méditerranée.
Si les défis techniques du seuil de Camarinal sont relevés et le financement sécurisé, ce tunnel pourrait devenir, dans les deux prochaines décennies, l’un des exploits d’ingénierie majeurs du XXIᵉ siècle, offrant une nouvelle ère de connectivité entre l’Europe et l’Afrique.