Quarante-neuf terroristes ont Ă©tĂ© abattus et au moins huit autres capturĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ© tunisiennes Ă la suite d’une attaque terroriste de grande envergure lancĂ©e lundi Ă Ben Guerdane (sud-est tunisien), non loin de la frontiĂšre libyenne. Douze agents de sĂ©curitĂ©, dont des policiers, des gardes nationaux, des douaniers et des militaires, ont Ă©tĂ© tuĂ©s dans les affrontements et sept civils ont pĂ©ri sous les feux croisĂ©s, selon un bilan officiel et dĂ©finitif annoncĂ© par le Premier ministre tunisien, Habib Essid.
L’attaque contre Ben Guerdane est considĂ©rĂ©e par certains observateurs comme la menace la plus grave Ă la sĂ©curitĂ© nationale tunisienne depuis le « printemps arabe » de Tunisie en janvier 2011.
« Les terroristes sont sortis de la mosquée Jallel [de Ben Guerdane] et ont pris pour cibles la caserne militaire et les districts de la police et de la garde nationale situés à proximité, dont ils voulaient prendre le contrÎle », a déclaré M. Essid aux médias.
« La rĂ©action des forces de sĂ©curitĂ© a Ă©tĂ© forte et rapide », a-t-il indiquĂ©, avant d’insister sur le fait que « l’opĂ©ration a Ă©tĂ© rĂ©ussie dans l’ensemble », malgrĂ© des pertes parmi les civils et les forces de sĂ©curitĂ©.
Au moins 50 terroristes auraient planifié cette attaque, dont une majorité de Tunisiens.
Selon M. Essid, cet assaut visait Ă fonder un « émirat » de l’Etat islamique (EI) Ă Ben Guerdane.
Une opération spétaculaire en représailles aux frappes américaines à Sabratha
Nizar Makni, un observateur tunisien spĂ©cialisĂ© dans les mouvements extrĂ©mistes en Afrique du Nord et au Maghreb, considĂšre qu’il s’agit d’une opĂ©ration terroriste de type suicidaire destinĂ©e Ă faire parler de l’EI, irritĂ© par le rĂ©cent raid amĂ©ricain contre un camp de djihadistes majoritairement tunisiens dans la ville libyenne de Sabratha, qui a fait une cinquantaine de morts.
Selon M. Makni, cet assaut terroriste de grande envergure n’est que le « rĂ©sidu » de tout un plan conçu par l’EI depuis plus d’un an et demi visant Ă provoquer des changements gĂ©opolitiques dans toute la rĂ©gion.
« Depuis fin 2014, l’EI planifiait le transfert du champ de bataille de Libye en Tunisie vu la pression que cette organisation terroriste subissait sur plusieurs fronts [face aux forces libyennes reconnues Ă l’international, Ă la coalition mondiale et Ă leurs milices alliĂ©es] », a-t-il indiquĂ©.
L’arsenal d’armes de guerre ultramodernes dĂ©couverts Ă Ben Guerdane et la grande qualitĂ© des munitions ainsi que les trois entrepĂŽts contenant des armes lourdes et des mines anti-chars qui ont Ă©tĂ© trouvĂ©s en sont la preuve, selon M. Makni.
Cependant, les rĂ©centes frappes aĂ©riennes amĂ©ricaines dans la ville libyenne de Sabratha n’ont « fait que bouleverser toutes les cartes de l’EI, qui se trouve l’esprit Ă©parpillĂ© […], d’oĂč une tentative de trouver un rallongement de son territoire », selon lui.
Ainsi, les forces de sĂ©curitĂ© tunisiennes auraient Ă©tĂ© piĂ©gĂ©es entre les troupes terroristes venus du territoire libyen d’un cĂŽtĂ© et les cellules dormantes dĂ©jĂ installĂ©es dans le sud tunisien et plus prĂ©cisĂ©ment Ă Ben Guerdane de l’autre.
Cette hypothÚse est renforcée par les révélations des autorités tunisiennes, qui ont déjà confirmé que la majorité des assaillants était originaires de Ben Guerdane.
Le lendemain des frappes Ă Sabratha, le dĂ©partement d’Etat amĂ©ricain avait averti la Tunisie qu’un attentat terroriste pourrait se produire sur son territoire.
GrĂące Ă la rĂ©action « rapide, puissante et efficace » des forces de sĂ©curitĂ© et militaires tunisiennes, la Tunisie a Ă©vitĂ© un scĂ©nario similaire Ă celui de la prise de Mossoul par l’EI dans le nord de l’Irak en 2014, a ajoutĂ© M. Makni.
Toutefois, une certaine défaillance des services de renseignements a été détectée.
« Les services secrets tunisiens ont Ă©chouĂ© durant une pĂ©riode allant de six mois Ă une annĂ©e Ă localiser des cellules terroristes dormantes implantĂ©es Ă Ben Guerdane ayant rĂ©ussi Ă stocker une importante quantitĂ© d’armes et de munitions en attendent l’heure zĂ©ro de l’opĂ©ration », a-t-il soulignĂ©.
Des mesures gouvernementales urgentes, mais pas suffisantes selon la population
« La Tunisie va aussi tirer plusieurs enseignements de cette attaque pour mieux se préparer à faire face énergiquement à toute éventuelle attaque », a indiqué le chef du gouvernement tunisien.
Tard dans la nuit lundi dernier, M. Essid a ordonnĂ© le dĂ©ploiement sur place de ses ministres de l’IntĂ©rieur et de la DĂ©fense ainsi qu’un couvre-feu nocturne Ă Ben Guerdane et une vaste opĂ©ration de sĂ©curitĂ© dans tout le sud tunisien, en particulier dans les provinces frontaliĂšres avec la Libye.
« Des mesures efficaces, certes, mais pas trop suffisantes aux yeux des Tunisiens qui vivent des conditions socioĂ©conomiques difficiles, voire mĂȘme dĂ©plorables dans des rĂ©gions intĂ©rieures Ă l’instar de Ben Guerdane, dĂ©sormais principal portail de la contrebande en Tunisie », a estimĂ© M. Makni.
Certaines séquences diffusées sur les réseaux sociaux, plus tard relayées par des médias locaux et étrangers, ont montré une surprenante mobilisation de la population aux cÎtés des forces de sécurité contre les groupes terroristes.
« Les habitants de Ben Guerdane ont fait preuve de patriotisme en Ă©mettant un message fort aux extrĂ©mistes : vous n’aurez aucune place parmi nous », a soulignĂ© M. Makni.
Le terrorisme frappe encore une fois en Tunisie, mais cette fois avec un changement stratĂ©gique de la tactique offensive de l’EI, qui semble ĂȘtre sur le point d’Ă©tendre son territoire de conquĂȘte, voire mĂȘme de transfĂ©rer les combats vers d’autres rĂ©gions, dont le sud tunisien, la rĂ©gion la plus proche de ses camps en Libye, en profitant des perturbations et du dĂ©sĂ©quilibre du climat socio-Ă©conomique tunisien.