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Algérie

Sous dĂ©veloppement : pourquoi l’Etat-Bouteflika maintient l’AlgĂ©rie sur cette frontiĂšre des Nations

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Le capitalisme tel que nous le connaissons est nĂ©, si on devait le rĂ©sumer en une formule, avec l’entrĂ©e – aux 17 e et 18e siĂšcles- des marchands dans l’atelier de leurs fournisseurs. La prise de contrĂŽle de la production par le capital marchand. Le seul que l’on connaissait jusque lĂ .

Ce mouvement, qui fait l’unitĂ© du capital que va Ă©tudier Karl Marx Ă  la 2e moitiĂ© du 19e siĂšcle, n’a pas Ă©tĂ© possible partout dans le monde connu. Une thĂšse acadĂ©mique, parmi les Ă©pigones du grand historien Fernand Braudel, estime que le capitalisme (extension de la sphĂšre marchande Ă  l’outil et Ă  la force de travail) a pu se dĂ©velopper plus vite lĂ  ou la tradition de l’Etat fort Ă©tait faible. Comme en Angleterre et aux Pays Bas. Ce qui expliquerait que l’entreprenariat se soit mieux Ă©tendue en Angleterre qu’en France par exemple, et qu’il ait Ă©tait Ă©touffĂ© – Ă  partir du 16 e siĂšcle – par les Etats omniprĂ©sents en Chine et dans les pays d’Islam. La tradition de l’Etat fort, qui freine mĂ©caniquement l’autonomie des acteurs, a donc pu ĂȘtre un facteur rĂ©cessif du point de l’expansion du libĂ©ralisme au sens ou il tolĂšre la crĂ©ation « dĂ©sordonnĂ©e » de plus de richesses matĂ©rielles. Ceci est peut ĂȘtre observable dans le monde d’il y a trois siĂšcles. Aujourd’hui Ă  l’ùre de la domination des Etats capitalistes anciens, les Etats Ă©mergents sont devant la problĂ©matique inverse. Faire d’un Etat fort, le premier levier de la dynamique capitaliste national. Sans institutions fortes, le capital domestique ne peut pas s’accumuler pour crĂ©er une Ă©conomie. A l’ùre des grandes multinationales et de l’avancĂ©e du libre Ă©change, la bataille de la norme est la mĂšre de toutes les guerres Ă©conomiques. C’est dans et par le droit que les Etats rĂ©ussissent Ă  amĂ©nager le juste Ă©quilibre entre l’ouverture sur l’économie mondiale et la protection des acteurs locaux qui autrement ne peuvent Ă©merger. L’AlgĂ©rie a cumulĂ© sous l’ùre de Abdelaziz Bouteflika le mauvais cĂŽtĂ© de l’Etat fort au sens du 17 e siĂšcle avec le mauvais cĂŽtĂ© des institutions faibles au sens contemporain. L’Etat fort des annĂ©es Bouteflika est anti-libĂ©ral et refuse l’émergence d’acteurs Ă©conomiques autonomes. Pour des considĂ©rations, comme en Chine sous les Ming, de perpĂ©tuation de son pouvoir. Il est de ce point de vue un retardateur de la dynamique capitaliste au sens moderne. C’est-Ă -dire celle qui en « marchandisant » des secteurs de plus en plus larges de la vie Ă©conomique les rends performants (et aussi problĂ©matiques et peu Ă©thiques, mais c’est un autre dĂ©bat). Dans le mĂȘme temps l’Etat producteur de normes par la force de ses institutions s’est affaibli sous Bouteflika. Il est l’inverse de l’Etat du parti communiste chinois, pour illustrer dans la voie autoritaire, ou de l’Etat fĂ©dĂ©ral brĂ©silien, pour Ă©voquer la voie dĂ©mocratique, capables chacun avec ses instruments d’éditer une norme et de la faire, pour l’essentiel respecter. Au BrĂ©sil la cour suprĂȘme a bloquĂ© une nomination par la prĂ©sident Dilma Roussneff de l’ancien prĂ©sident Lula au poste de ministre d’Etat car suspectĂ© de l’aide Ă  Ă©chapper Ă  une instruction judiciaire ouverte contre lui.

Le piĂ©tinement de la norme et en particulier de la norme juridique crĂ©e un climat d’insĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e hostile Ă  l’accumulation du capital. C’est exactement pour cette raison que les grands dĂ©linquants en col blanc des pays du sud tentent toujours d’abriter leurs actifs dans des pays rĂ©putĂ©s de droit. Ou les procĂ©dures ne sont pas arbitraires. Et les dĂ©cisions de justice supposĂ©s Ă©chappĂ© Ă  la tutelle politique. Le 11 aoĂ»t 2014 le procureur auprĂšs de la cour d’Alger a Ă©mis un mandat d’arrĂȘt international contre l’ancien ministre de l’énergie et des mines Chakib Khelil pour une sĂ©rie de chef d’inculpation liĂ© aux affaires des contrats de Sonatrach. Le 17 mars 2016, l’ami du prĂ©sident de la rĂ©publique revient en AlgĂ©rie sans ĂȘtre sommĂ© de se soumettre Ă  la justice. Le signal institutionnel est brouillĂ©. Il dit « tout est possible, le droit n’existe pas ». L’Etat de Bouteflika est trop fort, il empĂȘche la naissance du capitalisme national. Il est trop faible, il diffuse l’insĂ©curitĂ© du non-droit. Un autre point de vue acadĂ©mique situe en cela le premier critĂšre du sous-dĂ©veloppement.

Le mot « urgence » a Ă©tĂ© lĂąchĂ© cette semaine. Le dĂ©ficit budgĂ©taire algĂ©rien dĂ©rape dangereusement. Son financement devient donc urgent pour l’économie. C’est un « policy-paper», une note de politique Ă©conomique qui donne l’alerte et les solutions qui vont avec. Elle est signĂ©e du duo des professeurs bien connus Nour Meddahi et Raouf Boucekkine rejoint par le Nabnien Elias Chitour. Cette chronique reviendra prochainement sur les pistes nombreuses que propose ce document important. Deux points captent l’attention. Il y a en 2016 un second contre choc pĂ©trolier – 32 dollars le baril sur les deux premiers mois – qui amplifie celui de 2015. Le dĂ©ficit budgĂ©taire est « bien » partit – pour un prix du baril moyen autour de 35 dollars sur l’annĂ©e – pour reproduire Ă  minima le 15% de 2015 (estimation optimiste) qu’il faut ajouter au 7,1% du Pib de dĂ©ficit encaissĂ© en 2014. Il est urgent de mobiliser de nouveaux instruments pour financer cet Ă©norme « trou d’air » en attendant qu’il commence Ă  se rĂ©sorber Ă  partir de 2018- 2019. D’autant urgent que le fonds de rĂ©gulation des recettes (FRR) qui a Ă©pongĂ© les dĂ©ficits de 2014 puis de 2015 – sera Ă©puisĂ© sans doute avant mĂȘme le dernier trimestre de l’annĂ©e. Le grand emprunt national, annoncĂ© par le premier ministre, est donc de ce point de vue un recours de la plus haute importance. On comprend mieux Ă  la lecture du papier des trois experts pourquoi le gouvernement a vraisemblablement fait le choix d’émettre un bond du trĂ©sor anonyme au porteur. Son papier, qui de ce fait n’est plus une obligation, ne sera pas cĂŽtĂ©. Il n’ouvrira pas d’écriture aux comptes. Il vise une Ă©pargne large dans le secteur de l’informel. L’autre point focal de cette contribution, le rĂŽle nĂ©vralgique de la banque d’AlgĂ©rie. Elle sera au centre de la rĂ©ponse et devra coordonner encore plus son action avec celle du gouvernement. La banque d’AlgĂ©rie aura Ă  piloter une politique monĂ©taire entre deux Ă©cueils : ne pas Ă©trangler la disponibilitĂ© des liquiditĂ©s pour le secteur Ă©conomique d’un cĂŽtĂ© et ne pas laisser, de l’autre, filer l’inflation dopĂ©e par le recours Ă  une plus forte Ă©mission monĂ©taire tout autant que par la remontĂ©e des taux, et donc des coĂ»ts financiers des entreprises imputables Ă  la fin aux produits et aux services finaux. Cela se fera avec ou sans Mohamed Lakscaci. Ses mandats sont terminĂ©s et le nom de son successeur circule. Mais lĂ  nous risquons de retomber dans le thĂšme de l’Etat Bouteflika.