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PONTS VETUSTES, BUS CERCUEILS, ROUTES MEURTRIERES : JUSQU’A QUAND ?

Par Akli OURAD : Expert International en Gestion de Patrimoine Routier 16 août 2025

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Un drame terrible a secoué Alger hier. Un bus transportant des dizaines de passagers a perdu le contrôle en descendant de l’autopont métallique de Mohammadia et a terminé sa course dans l’Oued El Harrach. Le bilan est tragique : 18 morts (Allah yarhamhoum) et 24 blessés.

Comme toujours, la question des causes se pose. Les internautes ont beaucoup blâmé la véstusté des bus urbains d’Alger. Ils ont raison mais ce n’est pas la seule cause. Les accidents de la route résultent généralement de trois facteurs :

  1. Le facteur humain : comportement du conducteur, erreurs de conduite, fatigue, alcool, drogue…
  2. Le facteur technique : état du véhicule et des infrastructures routières.
  3. Le facteur environnemental : pluie, neige, brouillard…

Dans le cas d’hier, le facteur environnemental est à écarter : le temps était clair. Restent donc les deux autres, humain et technique.

L’infrastructure en cause

L’autopont de Mohammadia, juste avant le pont sur l’oued El Harrach, n’est pas un ouvrage anodin. Construit dans les années 80, il était censé être une solution provisoire pour fluidifier la circulation. Or, plus de 50 ans plus tard, il est toujours en service malgré un état de vétusté avancé. Ces ponts légers, initialement conçus pour la circulation automobile individuelle, ne sont pas adaptés aux véhicules lourds ni aux bus de transport collectif. Rampes trop raides, structure limitée, absence de réhabilitation sérieuse… tous les ingrédients d’un danger permanent.

À cela s’ajoute la dégradation de sa couche de roulement. Par endroits, l’asphalte est décollé, laissant apparaître la dalle métallique. Or, une surface métallique nue et usée est extrêmement glissante, surtout pour des véhicules ou bus lourds lancés dans une pente. Les témoins affirment que le bus a dérapé dès l’amorce de la descente du pont probablement en raison de la surface glissante : un scénario plus que plausible.

Des garde-fous qui ne protègent pas

Une autre question se pose : comment un bus entier a-t-il pu franchir les barrières du pont et se retrouver au fond de l’oued ?

Les dispositifs de retenue routiers (garde-fous) sont censés empêcher ce type de catastrophe. Dans les normes internationales, ils doivent être dimensionnés pour retenir aussi bien une voiture qu’un poids lourd ou un grand bus. Leur hauteur, leur résistance et leur continuité doivent garantir que même en cas de perte de contrôle, le véhicule reste sur la chaussée.

Ici, le bus a traversé le dispositif comme si de rien n’était. Cela montre à quel point ces équipements ne répondent pas aux standards de sécurité. Un pont en milieu urbain, avec une circulation intense, ne devrait jamais présenter une telle faiblesse.

Le bus : un cercueil roulant ?

L’état du véhicule lui-même est un autre point central. En Algérie, les bus urbains privés sont tristement connus pour leur vétusté. Internet regorge de photos de véhicules délabrés, rafistolés, sans contrôle technique rigoureux. Beaucoup d’usagers les surnomment « cercueils roulants » – et ce n’est pas une exagération.

Si l’on ajoute une pente raide celle de l’autopont, une surface sans résistance à la glissance (c’est toujours le cas sur nos routes même autoroutières) et un bus dont les freins peuvent être défaillants, l’accident devient presque inévitable. Rappelons que le président a annoncé aujourd’hui le retrait immédiat des bus âgés de plus de 30 ans. Une décision salutaire, mais encore trop timide face à l’ampleur du problème. Elle est certainement préliminaire. Une étude sérieuse sur l’état des véhicules de transport collectif doit être engagée et un âge limite doit être déterminé.

Et le facteur humain ?

On ne peut pas écarter le rôle du conducteur. Était-il fatigué, distrait, sous influence ou au contraire totalement impuissant face à une défaillance mécanique ? L’enquête et les témoignages permettront peut-être d’y voir plus clair. Mais il est évident qu’un conducteur, même expérimenté, reste vulnérable lorsqu’il est contraint de manœuvrer un véhicule inadapté sur une infrastructure défectueuse.

Conclusion

Cet accident tragique n’est pas un simple fait divers. Il révèle encore une fois les failles profondes de notre système de transport et de nos infrastructures. Chaque drame est suivi de consternation, mais trop rarement de réformes concrètes.

Mes recommandations personnelles

  1. Remplacer immédiatement les autoponts vétustes par des viaducs appropriés, en commençant par celui de Mohammadia.
  2. Mettre aux normes les dispositifs de sécurité routière normalisés (garde-fous, barrières de retenue, revêtements antidérapants).
  3. Renouveler en profondeur le parc de transport urbain privé, avec des contrôles techniques réguliers et stricts et une limite d’age adaptée.
  4. Former et encadrer les conducteurs de transport public pour réduire le facteur humain.
  5. Lancer des études sérieuses sur les causes réelles des accidents en Algérie, afin de baser nos réformes sur des données fiables et non sur des impressions. Ce drame doit servir d’électrochoc. Nous ne pouvons pas continuer à perdre des vies à cause de bus vétustes, de routes mal entretenues et d’infrastructures dépassées.

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