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« Un tel consensus ne peut ĂȘtre construit sans le consentement de lâEtat-DRS », estime le dĂ©putĂ© du Front des Forces socialistes Arezki Derguini. Pour lui sâil est possible dâ« affaiblir lâesprit de corps de certains services du secteur de la sĂ©curité », il est impossible dâ « atteindre sa propension Ă tout contrĂŽler sâil ne consent pas Ă se rĂ©former ».
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Si nous supprimons les formes grammaticales nĂ©gatives utilisĂ©es dans la dĂ©claration politique du FFS (1), que beaucoup ont estropiĂ©e et rĂ©duite Ă la formule lapidaire « ni participation ni boycott », nous obtenons lâaffirmation suivante : « Pour que le scrutin soit dĂ©cisif pour la sociĂ©tĂ©, il faut reconstruire le consensus national. Y participer le lĂ©gitimerait, le boycotter ne constituerait pas une alternative ». LâidĂ©e principale du paragraphe est dans la premiĂšre phrase, pas dans les suivantes. Câest cette phrase que nous allons dĂ©velopper ici.
Les AlgĂ©riens, une minoritĂ© active et le pouvoir, ont dĂ©jĂ refusĂ© les rĂ©sultats dâune Ă©lection qui semblait alors dĂ©cisive. Les Egyptiens ont fait de mĂȘme il y a peu de temps. Les « ni-ni » ne sont pas ceux que lâon croit. Les Tunisiens, quant Ă eux, ont rĂ©ussi a passer le cap aprĂšs bien des concessions de la part des vainqueurs aux Ă©lections. Aussi devons-nous demander Ă chaque AlgĂ©rien qui ne se croit pas Ă©clairĂ© par des lumiĂšres particuliĂšres sâil est dĂ©sormais prĂȘt Ă accepter nâimporte quel rĂ©sultat du scrutin. Est-on sĂ»r que face aux problĂšmes que les AlgĂ©riens auront Ă affronter aprĂšs des « élections libres et honnĂȘtes », ils sauront leur trouver des solutions de maniĂšre pacifique ? Est-on sĂ»r que lâhistoire ne se rĂ©pĂ©tera pas, comme on le rĂ©pĂšte parfois ? Pourquoi donner un pouvoir fictif Ă une majoritĂ© dont on pourra contester ensuite la lĂ©gitimité ? Pour discrĂ©diter une direction politique, un parti ? De telles dispositions ont Ă©tĂ© et seront celles dâun pouvoir acculĂ© Ă laisser faire des Ă©lections libres et honnĂȘtes.
Par consĂ©quent, si nous devons faire des Ă©lections, il faut quâau prĂ©alable, nous ayons dĂ©fini des conditions acceptables dâexercice du pouvoir pour tout un chacun. Il faut que nous ayons dĂ©fini les conditions auxquelles doivent se soumettre les diffĂ©rents pouvoirs, la population, la minoritĂ© politique, quelle que puisse ĂȘtre lâorientation de la nouvelle majoritĂ©. Alors, et alors seulement, nous consentirons Ă subir lâĂ©preuve du temps, majoritĂ© politique, opposition, sociĂ©tĂ© civile et militaire. Nous accepterons lâexercice du pouvoir, des libertĂ©s, dans le cadre des rĂšgles et institutions que nous aurons dĂ©finies.
Le consensus doit donc prĂ©cĂ©der les Ă©lections. Voici le message simple et clair quâil faut retenir. Si, du point de vue des dominants rĂ©gressifs, une telle dĂ©marche est une hĂ©rĂ©sie, une rĂ©gression, pour les rĂ©els rĂ©formateurs, qui veulent construire une sociĂ©tĂ© et un Etat de droit, elle est logique : les bĆufs doivent prĂ©cĂ©der la charrue. Le consensus doit rĂ©sulter de la rĂ©ponse de tous les « nous » Ă la question suivante : « nous X acceptons que vous, Y ou Z, gouverniez le pays si vous respectez tels engagements », de sorte que quel que puisse ĂȘtre le rĂ©sultat des Ă©lections, celui-ci puisse ĂȘtre incontestable. Alors le peuple sera souverain. Pour cela, il faut que nous dĂ©finissions nos ordres de prioritĂ©s de sorte quâils soient acceptĂ©s relativement par chacun. Le plus important Ă©tant celui de construire une vĂ©ritable solidaritĂ© sociale, de produire le sentiment que nul qui ne lâabandonne ne sera laissĂ© au bord du chemin. Il faut que nous acceptions que nos convictions puissent se confronter dans le temps et lâespace de maniĂšre objective, pacifique et graduelle. De sorte que nous ne soyons pas confrontĂ©s Ă un choc des convictions, des intĂ©rĂȘts.
Ceci Ă©tant dit, on peut ajouter quâun tel consensus ne peut ĂȘtre construit sans le consentement de lâEtat-DRS. Chacun connaĂźt sa capacitĂ© de nuisance et ses ressources. Aucune institution, association ou mouvement ne peut ignorer ses « militants ». Sâil faut faire avec son opposition, il est Ă craindre que seule une grave crise Ă©conomique et sociale pourrait le contraindre Ă renoncer Ă certains pouvoirs. Comme pour tout autre secteur de la vie sociale, on ne peut rĂ©former le secteur de la sĂ©curitĂ© (justice compris) sans sa participation active. On pourra affaiblir lâesprit de corps de certains de ses services mais on ne pourra atteindre sa propension Ă tout contrĂŽler sâil ne consent pas Ă se rĂ©former. Cette propension que porte chacun de ses membres, que la coutume a ancrĂ©e et dont les bĂ©nĂ©fices sont encore patents.
Il ne peut ĂȘtre construit aussi sans le consentement de la sociĂ©tĂ© civile de laquelle il est attendu quâelle construise les cadres de rĂ©fĂ©rence de la sociĂ©tĂ© qui souffre aujourdâhui de ce point de vue de dĂ©shĂ©rence. Il faut que cette sociĂ©tĂ© produise les cadres intellectuels desquels le dĂ©bat politique tire sa cohĂ©rence. Nous ne pouvons emprunter Ă autrui nos cadres de rĂ©fĂ©rence sans tomber dans la division. Il faut que la sociĂ©tĂ© dispose des moyens de se penser par elle-mĂȘme.
De mĂȘme que lâon se rend compte du temps quâun tel consensus peut demander Ă©tant donnĂ© le nombre des « il faut » qui doit ĂȘtre satisfait, lâampleur et la profondeur des problĂšmes quâil faudra traiter. Mais il faut du mĂȘme coup rappeler ici que le temps nous fait dĂ©faut. Lâexemple tunisien est lĂ pour nous instruire : ce pays, qui avait lâavantage de ne pas avoir connu de tragĂ©die comme la nĂŽtre, sâest engagĂ©e dans un processus dĂ©mocratique au moment oĂč il connaissait une grave crise Ă©conomique. LâAlgĂ©rie ne devrait pas attendre que les forces monopolistes concĂšdent la libĂ©ralisation du champ politique parce quâelles ne peuvent plus faire face Ă une demande sociale dont le taux de croissance est irrĂ©sistible. Si lâon ajoute Ă la tragĂ©die nationale une grave crise Ă©conomique et sociale de sorte que se multiplient les dĂ©chirures, rassembler le pays autour de ses dĂ©fis deviendrait une Ă©preuve terrible. Dans une telle situation, la dĂ©mocratie apparaĂźtra Ă nouveau comme un luxe inacceptable et les vrais dĂ©mocrates seront les grands perdants, les faux pouvant se faire les auxiliaires du despote Ă©clairĂ© de lâEtat-DRS. Cela aussi serait un retour Ă un passĂ© lointain qui nous reconduirait inĂ©vitablement Ă des passĂ©s plus rĂ©cents, dâautant plus probables quâils auront Ă©tĂ© oubliĂ©s.
Le vĂ©ritable investissement aujourdâhui est de rĂ©tablir la sociĂ©tĂ© dans sa capacitĂ© dâexpĂ©rimentation, ses capacitĂ©s de choix. Que lâon se rappelle donc que la dĂ©mocratie doit ĂȘtre, autant sinon davantage, sociale, Ă©conomique que politique. Et que celle politique ne devra pas ĂȘtre Ă©rigĂ©e contre les pauvres de ce pays. La dĂ©mocratie a un coĂ»t mais elle a une valeur plus grande que les infrastructures matĂ©rielles dont on se prĂ©vaut aujourdâhui. Ne pas vouloir le payer aujourdâhui nous reviendra beaucoup plus cher plus tard. Nos investissements lourds nâauront fait quâaccroĂźtre notre propension Ă importer ! DĂ©cideurs et « opposants » pitiĂ© donc pour le petit peuple qui vous a enfantĂ©s !
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Notes
(1) « Pour conclure, ce scrutin nâest dĂ©cisif que pour le systĂšme. Dans ces conditions, pour le FFS, participer est inconcevable. Lâoption du boycott, mĂȘme si elle est respectable, ne constitue pas Ă elle seule une alternative. Dans lâordre historique et dans lâordre stratĂ©gique, dans lâĂ©tape actuelle, la reconstruction dâun consensus national, autour dâun programme et dâun calendrier de transition, est notre objectif majeur. »
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AlgĂ©rie – La « RĂ©publique des dĂ©cideurs » se dĂ©fiera de la sociĂ©tĂ© tant que la sociĂ©tĂ© se dĂ©fiera dâelle-mĂȘme
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