
Dans son livre rĂ©cemment publiĂ©*, lâancien patron du FMIne tarit pas d’Ă©loges sur la Tunisie, qui « ouvre progressivement son commerce et ses finances extĂ©rieures », souligne le rĂŽle central jouĂ© par le roi du Maroc en matiĂšre Ă©conomique et fustige le « dirigisme » que l’AlgĂ©rie, selon lui, a « hĂ©ritĂ© de son colonisateur » et dont elle a « accentuĂ© les travers »**.
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« La scĂšne de ce drame est le monde »… C’est cette magnifique phrase de Paul Claudel, en prologue du Soulier de satin, que Michel Camdessus a choisi pour titre de ses mĂ©moires (*). Un livre passionnant oĂč celui qui fut Directeur gĂ©nĂ©ral du Fonds monĂ©taire international (FMI) raconte ses treize annĂ©es Ă la tĂȘte de cette institution si souvent – et Ă raison – dĂ©criĂ©e.
En poste de janvier 1987 Ă fĂ©vrier 2000, Michel Camdessus a ainsi vĂ©cu aux avant-postes d’incroyables bouleversements et crises : la chute du mur de Berlin (1989), la crise financiĂšre au Mexique (1994), suivie par celle des pays asiatiques (1997) et enfin par celle qui manqua de ruiner la Russie (1998).
Tout au long de son mandat, l’ancien gouverneur de la Banque de France et ancien fonctionnaire du TrĂ©sor français – une entitĂ© toute puissante -, ce fervent catholique a suivi et pilotĂ© les mutations, souvent douloureuses, d’Ă©conomies autrefois centralisĂ©es et ouvertes au marchĂ© par la force des bouleversements politiques.
Le chapitre sur la Pologne mais aussi sur la Russie est une mine d’informations sur la maniĂšre dont furent apprĂ©hendĂ©es les transitions dans l’ex-bloc de l’est. On y lira quelques considĂ©rations intĂ©ressantes sur le rythme nĂ©cessaire en matiĂšre de rĂ©formes, le gradualisme prĂ©sentant autant d’inconvĂ©nient que le « big-bang ».
Le livre fourmille d’anecdotes humaines car, Michel Camdessus insiste lĂ -dessus, son mĂ©tier fut surtout celui de la rencontre avec les grands de ce monde et d’Ă©changes parfois irrĂ©els, tĂ©moin sa conversation d’une heure en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec Bill Clinton dans la limousine prĂ©sidentielle.
Autre moment d’anthologie, ses Ă©changes, parfois tendus avec le pape Jean-Paul II Ă propos de la Pologne ou encore sa dĂ©marche auprĂšs d’une personnalitĂ© inattendue pour essayer de faire entendre raison au prĂ©sident Mobutu alors prĂ©sident de l’ex-ZaĂŻre.
En matiĂšre de doctrine Ă©conomique, le lecteur ne trouvera guĂšre de vibrant mea-culpa sur les interventions du Fonds. Certes, quelques regrets sont Ă©mis ici et lĂ mais le triptyque caractĂ©ristique des plans d’ajustements structurels (restauration de la stabilitĂ© budgĂ©taire et monĂ©taire, libĂ©ration des prix, convertibilitĂ© de la monnaie, privatisations…) n’est pas discutĂ© dans le fonds.
Par contre, au fil des pages, Michel Camdessus prend soin de prendre ses distances avec les nĂ©olibĂ©raux rappelant que, contrairement au duo Reagan – Thatcher, il n’a jamais considĂ©rĂ© que l’Etat soit le problĂšme et qu’il faille en finir avec lui.
Pour lui, cet Etat ne doit pas ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ© du « contrĂŽle macroĂ©conomique », de « la mise en place du cadre institutionnel et lĂ©gislatif de l’Ă©conomie » ainsi que de la dĂ©finition et de la gestion « des filets de protection sociale ».
Mais, il faut ĂȘtre honnĂȘte. Ce livre n’est pas un essai d’Ă©conomie – mĂȘme si l’auteur en profite pour envoyer quelques piques Ă ses plus cĂ©lĂšbres dĂ©tracteurs dont Joseph Stiglitz, ancien vice-prĂ©sident de la Banque mondiale. L’intĂ©rĂȘt majeur de l’ouvrage, c’est le fil des Ă©vĂ©nements, la rĂ©action des grands dirigeants de ce monde, les pressions des uns, les dĂ©fiances des autres.
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Maroc : « Surtout, dites bien à sa majesté »
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Quelques pages du livres sont consacrĂ©es au Maghreb rĂ©gion oĂč l’auteur, dĂšs sa prise de fonction en 1987, relĂšve un contraste « permanent entre la Tunisie et le Maroc d’un cĂŽtĂ©, et l’AlgĂ©rie, de l’autre. «Â
Et de noter que « les uns sont en progrĂšs lents mais Ă peu prĂšs continus, l’autre ne progresse qu’irrĂ©guliĂšrement et peine Ă trouver le meilleur usage de ses immenses ressources. Les uns ont Ă l’Ă©gard de nos institutions des relations confiantes et dĂ©complexĂ©es, l’autre reste longtemps embourbĂ© dans une idĂ©ologie tiers-mondiste de plus en plus surannĂ©e. »
Pour Michel Camdessus la Tunisie est alors pour la rĂ©gion « ce que le Chili est Ă l’AmĂ©rique latine : le pays phare. Elle mĂšne prudemment sa barque, ouvre progressivement son commerce et ses finances extĂ©rieures et bĂ©nĂ©ficie des apports du tourisme et des investissements Ă©trangers. »
L’auteur ne parle pas des personnalitĂ©s tunisiennes avec lesquelles il a Ă©tĂ© en contact mais il consacre plusieurs lignes au roi Hassan II avec lequel il a eu plusieurs entretiens en tĂȘte-Ă -tĂȘte.
« Lorsque l’on en vient aux affaires Ă©conomiques du Maroc, il Ă©coute avec une grande attention nos analyses et le plus souvent veille Ă ce que l’on suive nos recommandations (…) Comme souvent dans les pays oĂč le souverain gouverne d’une main ferme, ses collaborateurs tĂąchent de me voir avant nos rencontres. Un constant leitmotiv : ‘Surtout, dites bien Ă sa MajestĂ©’… « .
Mais, concernant les pays du Maghreb, c’est Ă l’AlgĂ©rie que Michel Camdessus consacre le plus de pages. AprĂšs avoir rappelĂ© qu’il y a effectuĂ© son service militaire de deux ans dans le GĂ©nie – c’Ă©tait en pleine guerre d’AlgĂ©rie -, il livre un diagnostic des plus abrupts.
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Algérie : le Soviet plus Colbert
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« Ce pays, en fait, ouvre l’histoire Ă©conomique de son indĂ©pendance handicapĂ© d’une double tare : les mirages soviĂ©tiques d’une planification centrale conduisant Ă de formidables gaspillages de la rente pĂ©troliĂšre et un interventionnisme colbertiste de la pire espĂšce, hĂ©ritĂ© de son colonisateur, dont il ne fera qu’accentuer les travers. »
L’auteur raconte que les contacts entre le FMI et l’AlgĂ©rie n’ont jamais Ă©tĂ© simples et que c’est Ali Hammoudi, reprĂ©sentant du pays au sein du conseil d’administration du Fonds, qui a Ă©tĂ© Ă l’origine des premiĂšres conversations qui ont abouti Ă un « premier programme de libĂ©ralisation de l’Ă©conomie et Ă un accord stand-by en mars 1991. «Â
De la pĂ©riode 1998-1993, l’auteur ne cite aucun des dirigeants algĂ©riens qu’il a rencontrĂ© ou avec lequel lui ou ses Ă©quipes auraient Ă©tĂ© en contact. Aucune mention n’est faite Ă propos de Mouloud Hamrouche, de son Ă©quipe de rĂ©formateurs ou mĂȘme de Sid Ahmed Ghozali.
Concernant les mesures prĂ©vues par l’accord de 1991, l’auteur a ce jugement : « Les AlgĂ©riens appliquent ce programme sans conviction ; les rĂ©sultats sont mĂ©diocres. La contrainte externe sur le pays ne fait que se resserrer. Des mesures beaucoup plus Ă©nergiques associĂ©es Ă une renĂ©gociation de la dette extĂ©rieure par le Club de Paris s’avĂšrent indispensables.
Le Premier ministre, BelaĂŻd Abdesslam, persiste pourtant Ă refuser de nĂ©gocier la dette Ă travers le Club de Paris. Mes efforts pour le convaincre lors d’un voyage Ă Alger sont vains. Nos nĂ©gociations pour un nouveau programme de rĂ©formes restent dans l’impasse. «Â
A ce sujet, il serait intĂ©ressant de connaĂźtre enfin la version de la partie algĂ©rienne puisqu’Ă l’Ă©poque les dirigeants du pays espĂ©raient renĂ©gocier la dette sans avoir justement Ă passer par le Club de Paris (et donc par les fourches caudines du FMI).
MalgrĂ© le refus de BelaĂŻd Abdesslam de nĂ©gocier, les contacts entre Alger et le Fonds se sont poursuivis, l’auteur rappelant que ses interlocuteurs souhaitaient qu’elles demeurent « secrĂštes ». C’est ainsi qu’il se retrouve Ă Timimoun, Ă GhardaĂŻa et mĂȘme Ă l’Assekrem pour un rĂ©veillon de fin d’annĂ©e.
La nomination d’un nouveau gouvernement va changer la donne. A Washington, au sein de l’Ă©quipe en charge des nĂ©gociations avec Alger, le trio Redha Malek (Premier ministre), Ahmed Benbitour (ministre des finances) et Abdelouahab Keramane (gouverneur de la Banque d’AlgĂ©rie) est surnommĂ© « les trois mousquetaires » pour son aptitude Ă changer les choses et Ă prĂȘter une oreille attentive aux recommandations du Fonds.
AprĂšs quelques achoppements, notamment Ă propos du niveau de dĂ©valuation du dinar (le Fonds souhaite le faire passer de 23 Ă 42 dinars pour un dollar, l’AlgĂ©rie obtiendra un taux de 38 pour un), un accord est conclu et cela malgrĂ© les craintes, aux Etats-Unis comme en Europe, que les islamistes en arme ne prennent le pouvoir Ă Alger.
L’auteur clĂŽt cette partie algĂ©rienne en rĂ©sumant le message qu’il dĂ©livre en janvier 2000 au prĂ©sident Abdelaziz Bouteflika : « Il s’agit surtout de la restructuration des entreprises publiques, de celles des banques et de l’ouverture de l’Ă©conomie par la poursuite de la rĂ©forme tarifaire et de la libĂ©ralisation des prix « .
Pour Michel Camdessus, Abdelaziz Bouteflika avait « les moyens de gagner cette bataille » Ă condition de « venir Ă bout de l’inertie de la machine administrative et des sourdes rĂ©sistances des intĂ©rĂȘts Ă©tablis « .
Il serait intĂ©ressant de connaĂźtre son avis aujourd’hui… En attendant, ses mĂ©moires sont Ă lire surtout par celles et ceux qui devront, tĂŽt ou tard, prendre le relais d’un rĂ©gime algĂ©rien dĂ©faillant.
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(*) La ScĂšne de ce drame est le monde, treize ans Ă la tĂȘte du FMI. Michel Camdessus, Les ArĂšnes, Paris, 446 pages, 22,80 euros.
(**) Cet article a été publié initialement par Al Huffington Post Algérie.