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Opinions

Le gĂ©nĂ©ral Toufik s’en va, le gĂ©nĂ©ral Soupçon est toujours au pouvoir (opinion)

Pour les Ă©lites libĂ©rales, il est temps de rĂ©orienter la politique Ă©conomique de l’AlgĂ©rie.

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On est bien dans cette définition effrayante de la crise donnée par Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaßtre, et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. »*

 

  

Le dĂ©part prĂ©visible du gĂ©nĂ©ral Mohamed Mediene, dit, Toufik de la tĂȘte des services de renseignement militaires, donne lieu, comme d’habitude, Ă  des lectures diamĂ©tralement opposĂ©es. Un limogeage pour les uns et, pour d’autres, une sortie organisĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Toufik lui-mĂȘme, avec l’accord des autres pĂŽles du systĂšme algĂ©rien, la prĂ©sidence et l’Ă©tat-major de l’armĂ©e.

Cette opacitĂ©, qui permet toutes les lectures – et aussi toutes les manipulations -, fait partie de l’ADN d’un systĂšme Ă  bout de souffle mais qui a rĂ©ussi Ă  rĂ©aliser une grande dĂ©sertification du champ politique.

Toute la sphÚre politique et médiatique est minée par une culture du soupçon diffusée par le régime, celle qui permet de discréditer tout le monde, partisans et adversaires, clients et opposants. Le départ du général Toufik, forcé ou convenu, ne change rien à la situation.

Toutes les paroles politiques sont sans Ă©cho du fait de l’action permanente du discrĂ©dit de la politique au cƓur de la stratĂ©gie du rĂ©gime. Que l’on dise des Ăąneries ou des choses pertinentes est devenu sans importance, on est automatiquement accusĂ© de « rouler » pour un clan ou de chercher une « place »…

 

L’animation du vide

 

Les plus lucides en sont arrivĂ©s Ă  la position, qu’ils jugent la moins nocive, qui consiste Ă  s’abstenir ou Ă  mesurer sa parole pour ne pas participer Ă  l’animation du vide et laisser ce genre de comĂ©dies qui ne font pas rire aux Ghoul and co. Mais ce choix, le « moins mauvais », ne dessert pas le rĂ©gime non plus…

Le gĂ©nĂ©ral Toufik s’en va, mais le « gĂ©nĂ©ral soupçon » est toujours lĂ  pour griller toute tentative de rĂ©flexion sĂ©rieuse ou dĂ©marche de structuration politique de la sociĂ©tĂ© algĂ©rienne qui permettrait de poser la question du changement de rĂ©gime et de la maniĂšre de le faire. Elle est toujours en Ɠuvre pour rendre « impossibles » toutes les propositions de sortie d’impasse.

On peut conjecturer longtemps sur le fait que le dĂ©part de Toufik soit un limogeage ou un dĂ©part par consentement, mais il est difficile de ne pas y voir le signe de la fin d’un trĂšs long cycle. Et l’esquisse de l’esquisse d’un autre cycle que personne n’arrive Ă  percevoir du fait de la rĂ©ussite morbide du fameux « gĂ©nĂ©ral Soupçon ».

Qui aujourd’hui, hormis dans la bulle des rĂ©seaux sociaux sur internet oĂč le « gĂ©nĂ©ral Soupçon» nage comme un poisson dans l’eau, s’intĂ©resse vraiment Ă  la politique ?

Les « classes dangereuses » qui ont fait leur intrusion sur la scĂšne politique aprĂšs octobre 1988 ont cessĂ© durablement d’y croire. Elles en ont payĂ© le prix dans les annĂ©es 1990 lorsque le principe dĂ©mocratique, on ne le dira jamais assez, a Ă©tĂ© durablement flĂ©tri.

L’idĂ©e d’un dessein collectif qui peut ĂȘtre portĂ© par un projet politique n’existe pratiquement plus au profit de la « dĂ©brouille individuelle », du « frappes-ton-coup », sur fond de plongĂ©e dans des formes destructrices de rejet du rĂ©gime dont l’incivisme gĂ©nĂ©ral et le non-respect des rĂšgles sont des illustrations.

 

Le vieux se meurt…

 

L’action permanente du discrĂ©dit de la politique et de l’expression a abouti, en dĂ©finitive, Ă  faire douter de l’espace-nation au profit des rĂ©gressions tribales, claniques et, parfois, de « houmate » (quartiers).

Les structures de mĂ©diations du rĂ©gime n’opĂšrent plus et nous en avons a eu la terrible illustration Ă  GhardaĂŻa. Et les perspectives Ă©conomiques s’assombrissant, on peut lĂ©gitimement craindre que cette trĂšs mauvaise pente ne s’accentue.

L’exil des Ă©lites instruites durant les annĂ©es 1990, plus par dĂ©couragement que par peur, participe de ce mĂȘme effet de perte du repĂšres national. Le gĂ©nĂ©ral Soupçon qui survit au passage des hommes et des chefs a rĂ©alisĂ© une victoire totale. Mais Ă  la Pyrrhus.

Ce qui s’est passĂ© en Libye et en Syrie montre que crĂ©er le « vide », par la corruption et la rĂ©pression n’est pas un gage de « stabilitĂ© » du rĂ©gime mais une menace encore plus grande pour la pĂ©rennitĂ© des pays.

Le dĂ©part du gĂ©nĂ©ral Toufik n’est pas un fait insignifiant. Il annonce la fin d’une Ă©poque oĂč des ressorts majeurs ont Ă©tĂ© cassĂ©s au point, aujourd’hui, de ne plus permettre de se projeter dans l’avenir.

 

Que faire?

 

On est bien dans cette définition effrayante de la crise donnée par Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaßtre, et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. »

Le pire n’est jamais sĂ»r. Mais pour Ă©viter que l’avenir ne se dĂ©cide en cercle restreint, entre « clans », il nous faudra nous mĂȘler de ce qui nous concerne, s’Ă©couter sans le filtre des Ă©tiquettes faciles et du procĂšs d’intentions permanent.

Il faudra trouver le moyen de recrĂ©er un intĂ©rĂȘt citoyen pour la politique. RĂ©apprendre Ă  militer en songeant Ă  ceux qui, dans l’adversitĂ© la plus totale, ont Ă©tĂ© les grands acteurs du mouvement national algĂ©rien.

Cela n’a rien d’une promenade. Mais les AlgĂ©riens vont devoir inventer – les Tunisiens l’ont fait avec beaucoup de rĂ©ussite – pour aider ce nouveau qui tarde Ă  naĂźtre Ă  voir le jour et Ă  empĂȘcher les monstres de surgir. Ils devront d’abord vaincre le gĂ©nĂ©ral soupçon qui a Ă©tĂ© plantĂ© dans les tĂȘtes. Et c’est bien le plus dur Ă  faire..

 

(*) Ce texte a été publié initialement sur le Huffington Post Algérie.

Saïd Djaafer est le directeur éditorial duHuffington Post Algérie.