La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane sur El Watan sâattaque cette semaine Ă un thĂšme fort de ce dĂ©but de lâannĂ©e 2017, la relation des AlgĂ©riens Ă lâimpĂŽt. Moment charniĂšre capital.
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Lâaffaissement durable de la fiscalitĂ© pĂ©troliĂšre dans le budget de lâEtat algĂ©rien est entrain de faire naitre, en creux, un dĂ©bat moderne, celui sur lâimpĂŽt et sa place dans le pacte entre lâEtat et le citoyen-contribuable. La transition fiscale est en marche. Elle a fait passer les recettes fiscales ordinaires devant la fiscalitĂ© pĂ©troliĂšre en 2009 et confortĂ©, depuis, lâĂ©cart entre les deux. Les taxes sur les revenus dâexportation de Sonatrach et ses partenaires ne contribuaient plus quâĂ environ 1700 milliards de dinars sur les 5000 milliards de dinars de recettes engrangĂ©es par le trĂ©sor public en 2016. Pendant que les recettes fiscales en apportaient 2563 milliards de dinars. Cet Ă©cart de 800 millions de dinars sur un exercice, essentiellement du Ă la forte baisse de la fiscalitĂ© pĂ©troliĂšre, la trajectoire budgĂ©taire triennale prĂ©voit de le consolider Ă 900 millions de dinars en 2019, lorsque le cours prĂ©visionnel du baril sera passĂ© Ă 60 dollars. En gros, la tendance est installĂ©e. Le budget de lâEtat sâappuiera de plus en plus sur la collecte de lâimpĂŽt domestique hors Hydrocarbures. Or cette ambition, renouvelĂ©e depuis 2014, est contrariĂ©e par lâinertie structurelle de lâĂ©conomie algĂ©rienne. A la tĂȘte de la direction gĂ©nĂ©rale de lâimpĂŽt (DGI) Abderrahmane Raouya archĂ©type du grand commis dâĂ©tat, tiens pourtant un discours de rĂ©forme (encore la semaine derniĂšre au micro de Souhila Hachemi). Le pari dâun financement du dĂ©ficit budgĂ©taire prĂ©visionnel des trois prochaines annĂ©es par, en bonne partie, plus de collecte de lâimpĂŽt paraĂźt improbable en lâĂ©tat. La prospective triennale projette de collecter 1000 milliards de dinars de recettes fiscales additionnelles en contexte de contraction des dĂ©penses publiques. Aucune Ă©tude ne permet de faire la part claire des apports Ă la croissance de la fiscalitĂ© ordinaire de ces derniĂšres annĂ©es : effet mĂ©canique de la croissance du PIB tirĂ©e par les dĂ©penses publiques ou effet de valeur liĂ©e Ă une meilleure efficacitĂ© de lâadministration fiscale ? Il est raisonnable de penser que la croissance des recettes fiscales ordinaires aura besoin dâun choc compĂ©titif pour faire ce bond de plus de 35% en 3 ans. Rien ne le laisse envisager dans lâadministration dirigĂ©e par le placide M Raouya. Ni lâinnovation sur lâassiette imposable, ni lâoutil pour recouvrer lâimpĂŽt. La modernisation de lâadministration fiscale est beaucoup trop lente comparĂ©e par exemple Ă celle des douanes ou celle des caisses dâassurance, deux autres bras du prĂ©lĂšvement rĂ©galien.
Ce que dit la créance non recouverte
Dans un tel contexte la tentation est forte dâexercer une plus grande pression sur le volant de contribuables Ă portĂ©e. Câest le grand risque esquissĂ© dĂ©jĂ dans la loi de finances 2017. TVA, taxes spĂ©cifiques sur des produits (carburants, tabacs, alcools) ou des services (tĂ©lĂ©phonie, Internet) : le gouvernement peut toujours se dĂ©fendre en soutenant quâil prĂ©serve la crĂ©ation de richesse en ne touchant pas aux prĂ©lĂšvements obligatoires en entreprise. La marge de manĆuvre pour accroitre la pression fiscale est dĂ©jĂ clivante. Pour lâexpert Ferhat Ait Ali, le taux des prĂ©lĂšvements obligatoires rapportĂ© au PIB reste trop Ă©levĂ© en AlgĂ©rie. La rĂ©forme doit aller dans le sens de le faire baisser. En principe en augmentant le PIB. En 2013, lâAlgĂ©rie occupait le 54 e rang mondial dans le classement des Taux de PrĂ©lĂšvement Obligatoire rapportĂ© Ă la richesse créée par la nation (TPO/PIB). 37,3% supĂ©rieur de deux points au TPO/PIB moyen de la zone OCDE. Le collectif Nabni a proposĂ© en 2015 de gĂ©nĂ©rer 1000 milliards de dinars de recettes fiscales supplĂ©mentaires Ă 2020 en supprimant une partie des niches fiscales et en amĂ©liorant la collecte de lâimpĂŽt. Mais aussi en introduisant de nouveaux impĂŽts sans modifier le ratio impĂŽt/PIB, ce qui suppose bien sur une augmentation de la crĂ©ation de richesse. Il existe un symptĂŽme de cette propension Ă faire supporter plus dâimpĂŽt par une population qui ne sâĂ©largit pas Ă la bonne allure ; celle qui rend le poids de lâimpĂŽt supportable. Ce symptĂŽme est la crĂ©ance non recouverte dĂ©tenue par lâadministration fiscale sur les entreprises. 11 400 milliards de dinars en cumulĂ©. « De quoi financer deux budgets de lâEtat » sâest indignĂ© Djelloul Djoudi prĂ©sident du groupe parlementaire du PT cette semaine sur RadioM. « Câest dâailleurs lĂ quâil fallait chercher le financement du dĂ©ficit budgĂ©taire et non dans les mesures dâaustĂ©ritĂ© et de plus grande pression fiscale sur les citoyens ». Oui mais ce montant (hors pĂ©nalitĂ©s) effectivement colossal, ne confirme pas seulement la faiblesse des moyens de collecte de lâimpĂŽt ou « la faiblesse de la volontĂ© politique de faire payer les plus puissants » (par proximitĂ© politique au pouvoir). Ce montant dit que le dispositif fiscal algĂ©rien est insoutenable, inadaptĂ©.
Les responsables sapent le consentement Ă lâimpĂŽt
Le virage qui se joue en 2017 est essentiel. LâEtat AlgĂ©rien a une conscience intuitive que son avenir repose sur un changement de paradigme. Ce qui portera lâaction publique viendra de plus en plus du citoyen contribuable et de moins en moins de Hassi Messaoud. Or pour asseoir le budget de lâEtat sur la contribution du situation, la science politique nâa rien inventĂ© de mieux que le consentement Ă lâimpĂŽt dans le contrat social. LâEtat convainc le contribuable que lâimpĂŽt quâil paye est le juste prix des services que lâEtat lui rend par la collectivitĂ© publique. Cette Ă©ducation est un travail politique de lâEtat irrĂ©prochable. LâAlgĂ©rie de Chakib Khelil, de Abdeslam Bouchouareb, et Abdelmalek Sellal, en est aux antipodes. CitĂ©s pour corruption aggravĂ©e dans le premier cas, pour suspicion dâĂ©vasion fiscale dans les deux autres cas (Panama Papers), les responsables politiques de lâAlgĂ©rie nâont pas prĂ©parĂ© les citoyens Ă ce changement de paradigme. Le pays reste donc toujours calĂ© sur lâancien contrat social : « ma part de la rente pĂ©troliĂšre ». Il ne crĂ©e pas le consentement Ă lâimpĂŽt. Par deux fois en 2015 et en 2016, le gouvernement a tentĂ© de ramener dans le circuit bancaire, et donc dans lâassiette fiscale, quelques centaines de milliards de dinars qui circulent dans le commerce informel. LâopĂ©ration de mise en conformitĂ© fiscale a suscitĂ© la plus grande mĂ©fiance. Seules environ 500 personnes (ordre de grandeur divulguĂ©e par le DGI lui mĂȘme) ont acceptĂ© de bancariser des fonds informels et de payer 7% de taxe forfaitaire aux impĂŽts. De mĂȘme le grand emprunt national nâa pas rĂ©ussi Ă attirer lâargent de lâinformel malgrĂ© lâanonymat garanti par le bond au souscripteur. Le MDS (gauche) a proposĂ©, dans une tribune de son SG dans El Watan, le recours au changement de monnaie pour siphonner les capitaux du marchĂ© parallĂšles. Et les rendre imposables. OpĂ©ration Ă risques. Voir le chaos au Venezuela qui lâa tentĂ© le mois dernier. Plus efficace de se dĂ©barrasser des facteurs de la dĂ©fiance qui rendront lâimpĂŽt mieux acceptĂ© par les citoyens. Facteurs de dĂ©fiance ? Il y a dĂ©jĂ des noms dans cette chronique mais la matrice est plus large. Elle a grandit sous Abdelaziz Bouteflika.