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La majorité parlementaire de Tebboune en danger de mort néo-natale

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L’élection d’une nouvelle assemblĂ©e nationale le 12 juin est un vĂ©ritable saut dans l’inconnu pour un prĂ©sident prĂ©caire. Comment ? Pourquoi ?

Abdelmadjid Tebboune et son « AlgĂ©rie Nouvelle » pouvait toujours se prĂ©valoir jusque lĂ  de vouloir se « tenir loin » de l’AlgĂ©rie de son prĂ©dĂ©cesseur dĂ©chu. Les Ă©lections lĂ©gislatives qu’il a convoquĂ©es pour le 12 juin prochain le ramĂšne brutalement Ă  la vĂ©ritĂ© de ses 15 mois de pouvoir. Il n’a pas d’autre majoritĂ© parlementaire pour le soutenir que celle qui l’a soutenu ces derniers mois. Il s’agit de celle de Abdelaziz Bouteflika.
Son problĂšme n’est mĂȘme plus celui du taux de participation. Tebboune a admis lors de sa derniĂšre rencontre avec deux journalistes, que rien ne prĂ©voit d’invalider un suffrage, il parlait du rĂ©fĂ©rendum, Ă  cause d’un taux de participation rachitique. Il fallait bien comprendre que le raisonnement s’étendait aux lĂ©gislatives. Le message est que « nous feront sans » les Ă©lecteurs.
A l’intĂ©rieur du vote loyaliste, l’identitĂ© de la majoritĂ© parlementaire Ă  venir est tout de mĂȘme plus importante tant elle menace d’achever d’abimer la symbolique, bien asthmatique, du renouveau politique.
Les trois mois qui le sĂ©pare de ce suffrage, suffiront t’ils pour en fabriquer une nouvelle ? Il y’ a au moins deux raisons d’en douter.
La premiĂšre est que le systĂšme n’est pas alignĂ© comme un seul homme pour consolider le pouvoir prĂ©sidentiel. Les appuis Ă  Abdelmadjid Tebboune Ă  la tĂȘte de l’ANP se sont liquĂ©fiĂ©s depuis le tournant du premier novembre et le grand Ă©chec de son rĂ©fĂ©rendum constitutionnel. Sa maladie et sa longue absence n’ont rien arrangĂ© Ă  son « attractivitĂ© » politique.
La seconde est que la sociologie de ses soutiens reste totalement ancrĂ©e dans le rĂ©servoir Ă©lectoral du Bouteflikisme, dont on sait ce qu’il est advenu depuis le 22 fĂ©vrier 2019. Les AlgĂ©riens de la marginalitĂ©, ceux des « zones sombres » avec lesquels le prĂ©sident, trĂšs mal conseillĂ©, veut allumer un contre feu anti-hirak, sont absents Ă  l’appel. De l’aveu mĂȘme de Tebboune, ce sont des « citoyens silencieux ». Ils ne feront pas, surtout pas en trois mois, des Ă©lecteurs actifs qui capitalisent dans une force politique de substitution, pour sauver le soldat Tebboune Ă  la recherche d’une majoritĂ© Ă  l’APN.

Joker consommé

Abdelmadjid Tebboune a t’il vraiment besoin d’une majoritĂ© au parlement pour continuer de diriger le pays ? Abdelaziz Bouteflika a toujours bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une qui soutenait le programme du prĂ©sident mĂȘme s’il a du gagner une Ă©lection contre le FLN en 2004. Dans le cas de Tebboune, l’enjeu est plus symbolique qu’opĂ©rationnel. Les prĂ©rogatives du prĂ©sident sont tellement Ă©crasantes, au terme de la nouvelle constitution, autant qu’à ceux de celle de 2016, que Abdelmadjid Tebboune n’aura, dans tous les cas, pas Ă  partager son pouvoir exorbitant avec un premier ministre issu du vote du 12 juin. Il a surtout besoin de s’appuyer sur une autre reprĂ©sentation politique que celle qui a fait le lit de la prĂ©sidence Ă  vie devenue mafieuse des frĂšres Bouteflika. Il est bien loin de s’en donner les moyens politiques. La confection d’une loi Ă©lectorale usine Ă  gaz, avec une modification des circonscriptions Ă©lectorales – il y a dĂ©sormais 58 wilayas – promet de grandes surprises Ă  l’intĂ©rieur du volant, forcĂ©ment petit, des voix qui vont s’exprimer.
Avec l’option du choix nominatif sur liste des candidats, le scĂ©nario le plus probable est celui d’une hyper-mosaĂŻque politique d’élus qui ne donne aucune orientation lisible, entre anciens partis d’obĂ©dience loyaliste et nouveaux candidats au soutien – critique ? – du systĂšme. Le vote du 12 juin en devient un saut dans l’inconnu.
Pourquoi s’en inquiĂ©ter ? Les sondages politiques demeurent censurĂ©s dans la nouvelle AlgĂ©rie comme dans l’ancienne, et le rĂ©sultat final peut toujours ĂȘtre « rectifiĂ© ».
En rĂ©alitĂ©, n’avoir aucune idĂ©e Ă  l’avance sur la configuration de la prochaine assemblĂ©e nationale ne semble pas, jusque lĂ , indisposer Abdelmadjid Tebboune, soucieux surtout de reprendre l’initiative politique dans un dĂ©sert de rĂ©alisations. Cela ne risque pas de durer.
Avec le naufrage du rĂ©fĂ©rendum constitutionnel, il a mangĂ© son joker. Il n’est pas certain d’avoir droit Ă  un second si le 12 juin dĂ©livrait un nĂ©ant augmentĂ©.

Mort né politique

Le retour des marches populaires depuis le 22 fĂ©vrier dernier est arrivĂ© Ă  point pour disqualifier avant naissance la majoritĂ©, quelle qu’elle soit, sur laquelle compte Tebboune pour revendiquer un renouvellement institutionnel.
Le scĂ©nario avec une majoritĂ© parlementaire issue du Hirak est bien sur Ă  Ă©carter. L’option de participer Ă  des Ă©lections organisĂ©es par l’administration de Tebboune sous le rĂ©gime de sa constitution, sous tutelle renforcĂ©e de l’armĂ©e, est une idĂ©e trĂšs impopulaire dans la rue. Il y avait plus de point de vue dans le Hirak pour suggĂ©rer un candidat unique de la RĂ©volution du 22 fĂ©vrier Ă  la prĂ©sidentielle du 12 fĂ©vrier qu’aujourd’hui pour proposer une participation unitaire aux lĂ©gislatives.
Les intentions de consolidations autocratiques se sont nettement dĂ©voilĂ©es depuis 15 mois, et ont ralliĂ© plus largement Ă  la nĂ©cessitĂ© de changer les rĂšgles et de pratiquer les libertĂ©s d’abord avant d’aller Ă  l’expression des suffrages dans les urnes.
Impopulaire dans la rue, mais aussi chez la base de nombreux partis politiques de l’ancienne opposition qui ne souhaitent pas se retrouver en porte Ă  faux avec le mouvement populaire. Le FFS qui a dangereusement vacillĂ© ces derniers mois, a amorcĂ© un ajustement de sa position depuis le retour des marches. Peu de risque qu’il fasse dĂ©faut.
Certaines Ă©lites du Hirak qui avaient commencĂ© Ă  se prĂ©parer au dĂ©but de l’ùre Tebboune Ă  entrer dans la bataille des lĂ©gislatives, sous certaines conditions, ont fait leur deuil de la possibilitĂ© de peser dans le jeu institutionnel clairement maintenu fermĂ©. Islam Benatia et son courant est le dernier Ă  en avoir fait l’expĂ©rience et Ă  en reconsidĂ©rer sa dĂ©marche.
La feuille de route unilatĂ©rale de restauration du pouvoir se poursuit, et la lutte du Hirak populaire pour la disqualifier ne s’arrĂȘte pas. La majoritĂ© parlementaire issue du vote du 12 juin apparaĂźt d’ores et dĂ©jĂ  comme un mort nĂ© politique. Perte de temps additionnelle pour le pays. Peut ĂȘtre que celle ci servira plus que les deux prĂ©cĂ©dentes – 12 dĂ©cembre et 1er novembre – Ă  dĂ©cider d’un nouveau cours politique qui se tourne vers l’expression populaire constante pour le changement dĂ©mocratique rĂ©el.