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La grève des magistrats, la loi et le pouvoir (opinion)

Par Maghreb Émergent 5 novembre 2019

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La grève entamée par les magistrats pour contester le mouvement sans précédent qui leur a été imposé sous, selon leurs représentants, de «fallacieux prétextes », est une première dans les annales de l’histoire de la magistrature, surtout en Algérie.

La justice a toujours été au service des pouvoirs exécutifs successifs depuis l’ouverture démocratique de 1988. Elle l’est encore plus aujourd’hui dans un contexte unique dans l’histoire de notre pays, marquée par un rejet de tout le fonctionnement du système de gouvernance. Les magistrats, après avoir pris parti au mois de mars passé pour le Hirak, par le biais du club des magistrats, se sont faits depuis très discrets. Leur syndicat est revenu sur la scène à l’occasion de revendications socio-professionnelles mais n’a soufflé mot sur la campagne d’arrestations et de mise en détention provisoire de plusieurs activistes et autres porteurs de l’emblème amazigh. Les juges, dans leur majorité et particulièrement à Alger, ont appliqué sans aucune assise juridique les instructions reçues du pouvoir.

Il aura fallu la décision de mutation de plus de la moitié des magistrats du 24 octobre pour faire réagir le Syndicat national des magistrats qui conteste ce mouvement et qui appelle ses adhérents à une action radicale unique du secteur de la justice. Les magistrats, confortés par la position des membres du Conseil supérieur de la magistrature, considèrent que la réunion de ce conseil le 24 octobre n’a fait que valider un mouvement qui a été entièrement confectionné par le ministre de la Justice.

Ils considèrent que le mouvement est du seul ressort du CSM et que le cantonner à un seul rôle d’approbation est une atteinte à la loi. La session du 24 octobre a été convoquée et présidée par le ministre de la Justice, vice-président du CSM alors que la nomination de ce ministre est une violation de l’article 104 de la Constitution qui interdit au chef de l’Etat par intérim de procéder à un quelconque remaniement ministériel. La remise en cause de la légitimité de la nomination de Mr Zeghmati à la tête du ministère de la Justice, remet en cause sa présidence du CSM. Ce dernier ne peut être présidé que par le président de la république ou son ministre de la Justice légitimement désigné.

Ce que prévoit la loi

La Constitution consacre dans son article 71 le droit du recours à la grève mais interdit dans son alinéa 2 ce droit à certains secteurs ou corps constitués. C’est sur cette base que la loi 04-11 interdit aux juges de recourir à la grève.

Les représentants des magistrats eux-mêmes reconnaissent que leur action est une transgression de cette loi. Même s’ils expliquent qu’ils ont été contraints par l’absence de réponse du ministère de la Justice à recourir à ce mode de contestation, il n’en demeure pas moins que rien ne justifie l’interdiction à tout secteur ou à toute catégorie socio-professionnelle de bénéficier de ce droit constitutionnel pour défendre leurs droits.

Seulement, seul un juge a le droit de statuer sur la légalité de l’action entamée le 25 octobre par les magistrats. Le ministère de la Justice a introduit une action en référé auprès du tribunal administratif de Tipaza qui a jugé la grève illégale, alors que selon le Professeur Reda Doghbar, et en raison de la nature des deux parties en conflit, ministère de la Justice et SNM, et en application de l’article 9 de la loi organique portant prérogatives du Conseil d’Etat, cette affaire aurait due être soumise à cette instance. L’incompétence du tribunal administratif de Tipaza étend ainsi l’illégitimité de l’action entreprise par l’exécutif.

L’indépendance de la justice, ultime enjeu

La crainte que les magistrats arrachent une véritable indépendance est derrière la panique de l’exécutif face à cette action historique. Elle le pousse à recourir à la force publique à l’intérieur même de l’enceinte des juridictions.

La justice a toujours été un moyen de pression, le bras armé, du pouvoir contre tous ses détracteurs et ceux qui contestent son fonctionnement. Sa libération signifie la perte du moyen de pression légal qu’utilise le régime pour protéger ces hommes et leurs intérêts, pour légitimer son existence et son pouvoir, et pour casser tout mouvement politique ou social qui le remet en cause.  Le Hirak en cours depuis près de neuf mois l’a démontré.

L’enjeu véritable nécessite le soutien total de toute personne soucieuse de construire un véritable état de droit avec comme socle la séparation des pouvoirs et l’indépendance totale de la justice. 

Abdenour Haouati

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