Le journaliste Ihsane El Kadi boucle aujourdâhui son cinq-centiĂšme jour de prison.
500 jours quâil est injustement privĂ© de libertĂ©. Cette libertĂ© quâil nâa cessĂ© de dĂ©fendre des dĂ©cennies durant contre lâarbitraire et les dĂ©rives autoritaires. Pour lui, mais aussi pour les autres : les opprimĂ©s, les dĂ©tenus dâopinion et les victimes dâinjustice.
JusquâĂ cette fin 2022, Ihsane El Kadi, journaliste accompli et professionnel jusquâau bout des angles, est restĂ© lui-mĂȘme malgrĂ© un contexte politique dĂ©favorable marquĂ© par une fermeture politique et un verrouillage mĂ©diatique sans prĂ©cĂ©dent. Il est restĂ© droit dans ses bottes malgrĂ© les intimidations, lâasphyxie financiĂšre de ses entreprises et le renoncement, voire la dĂ©mission, par opportunisme, par peur ou lassitude, de nombre de ses confrĂšres.
Radio M, la web radio dont il a Ă©tĂ© un des fondateurs, est demeurĂ© lâun des rares espaces, sinon le seul, oĂč pouvaient sâexprimer toutes les voix discordantes, toutes les tendances politiques, les voix marginales et ceux qui nâont pas droit au chapitre. Aucun sujet nâĂ©tait tabou pour lui.
Ăconomiste de formation, il animait des Ă©missions qui se sont imposĂ©es comme des rĂ©fĂ©rences dans le dĂ©cryptage des questions Ă©conomiques grĂące Ă des invitĂ©s de qualitĂ© dont un prix Nobel dâĂ©conomie, Jean Tirole.
Au plan politique, les deux Ă©missions phares « CafĂ© presse politique » et « 5 sur 5 » Ă©taient devenues de vĂ©ritables tribunes politiques oĂč tous les sujets sont dĂ©cortiquĂ©s, y compris les plus sensibles comme les relations entre la prĂ©sidence et lâinstitution militaire. Durant le Hirak, ses mĂ©dias se sont faits le devoir dâaccompagner le mouvement en relayant toutes les manifestations et toutes les revendications populaires. Ce courage et sa foi inĂ©branlable en un journalisme de qualitĂ©, sâils ont suscitĂ© du respect auprĂšs de lâopinion, ne lâont pas cependant mis Ă lâabri des poursuites de la part dâun rĂ©gime dĂ©cidĂ© Ă Ă©touffer toute voix critique et hostile Ă toute expression libre.
Dans la nuit du 23 au 24 dĂ©cembre 2022, en effet, des agents de la DGSI ont arrĂȘtĂ© Ihsane El Kadi. Il passe plusieurs jours de garde Ă vue Ă la caserne « Antar » avant dâĂȘtre placĂ© le 29 du mĂȘme mois en dĂ©tention provisoire aprĂšs sa prĂ©sentation devant le procureur de la RĂ©publique du tribunal de Sidi Mhamed, Ă Alger. Le lendemain de son arrestation, la mise sous scellĂ©s des locaux de ses mĂ©dias, Radio M et Maghreb Ămergents, sâest faite sans quâaucune autorisation du procureur nâait Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e.
Le 12 octobre 2023, Ihsane El Kadi, a atteint la fin de la route juridique. La Cour suprĂȘme, a rejetĂ© ses appels dans deux affaires distinctes, dont lâune lui avait valu une peine de 7 ans de prison.
Il faut dire que cette incarcĂ©ration nâest que le point final dâune sĂ©rie dâintimidations entamĂ©e depuis plusieurs mois et qui le ciblait particuliĂšrement.
Ihsane El Kadi, a Ă©tĂ© placĂ© sous contrĂŽle judiciaire suite Ă une plainte de Amar Belhimer au titre de ministre de la communication quâil Ă©tait, pour un blog politique sur la place de Rached dans le Hirak en mars 2021. Deux chefs dâinculpation ont Ă©tĂ© retenus contre lâauteur de lâarticle « atteinte Ă lâunitĂ© du territoire » et « publications portant prĂ©judice Ă lâintĂ©rĂȘt national . Dans cette affaire, le journaliste a Ă©tĂ© condamnĂ©, le 7 juin 2022, Ă six mois de prison ferme et 50 000 dinars dâamende.
ParallÚlement à ces intimidations, le patron du laboratoire Merinal, Nabil Mellah, également actionnaire à Interface Médias, entreprise éditrice de Radio M a été condamné à 4 ans de prison ferme. Il est en détention depuis mai 2021.
Pourquoi emprisonner ce journaliste, fils dâune grande figure rĂ©volutionnaire, et dont le seul tort et dâavoir fait son mĂ©tier ? Car de lâavis de tous, comme en tĂ©moignent ces intellectuels Ă©trangers tels que Noam Chomsky, Annie Ernaux, Arundhati Roy, Ken Loach, ou algĂ©riens comme Yasmina Khadra, Elias Zerhouni, et Noureddine Melikechi qui rĂ©clament sa libĂ©ration ou encore ses avocats, le prĂ©tendu « financement Ă©tranger » nâest quâun fallacieux argument pour masquer une volontĂ© de faire taire une voix qui dĂ©range.
Comme pour les autres dĂ©tenus dâopinion, la place de Ihsane nâest pas en prison. Sa place est au milieu des siens, au sein de sa corporation oĂč il a beaucoup Ă apporter au mĂ©tier et au pays. Dans cette perspective, la prochaine fĂȘte dâindĂ©pendance peut ĂȘtre une opportunitĂ© pour les autoritĂ©s de faire un geste en faveur de ces dĂ©tenus injustement incarcĂ©rĂ©s. Ce serait non seulement un geste dâapaisement, mais soignera lâimage du pays Ă©cornĂ©e ces derniĂšres annĂ©es. Ce sera un acte en faveur de personnes dont lâamour de la patrie nâest pas Ă dĂ©montrer.