Depuis plus de dix ans, l’article 42 de la loi de finances complémentaire de 2010 régit le sort des biens immobiliers passés à l’État algérien après l’indépendance. Aujourd’hui, un projet de loi sur la criminalisation du colonialisme vient le rattacher à un récit politique plus explicite, en lui donnant une portée mémorielle explicite.
L’article 42 bloque toute transaction sur les biens immobiliers dont la propriété a basculé vers l’État algérien par nationalisation, étatisation ou abandon. Le texte de 2010 annule les ventes réalisées par d’anciens propriétaires, où qu’ils se trouvent, et interdit la restitution de ces biens s’ils ont déjà été revendus par l’État. Un conservateur foncier recense ces propriétés, les inscrit au nom de l’État, et des sanctions pénales frappent ceux qui tentent de contourner l’interdiction.
Du juridique au politique
Rien de neuf dans les principes. Mais le projet de loi sur la criminalisation de l’occupation coloniale française, actuellement en discussion, change la donne. Son article 25 établit un lien direct entre les biens “échus” à l’État et l’article 42. Autrement dit, ce qui relevait d’une gestion administrative devient un chapitre d’une histoire officielle, celle des conséquences matérielles de la décolonisation.
Le gouvernement ne crée pas de nouvel outil juridique. Il relit un texte existant à la lumière d’une ambition politique : qualifier l’occupation française de “crime d’État”, encadrer la mémoire collective, et fermer la porte à toute remise en cause de ce qui a été transféré à l’État algérien après 1962. Le foncier devient un prolongement du récit national.
L’article 42 ne s’applique pas aux biens privés réguliers
Cette articulation répond à une confusion tenace dans l’opinion. L’article 42 ne permet pas à l’État de saisir un bien appartenant légalement à un particulier. Il ne s’applique qu’aux propriétés déjà passées dans le giron public par les voies prévues : nationalisation, étatisation, abandon. Un bien correctement immatriculé au nom d’un propriétaire privé, sur la base d’un titre en règle, échappe à ce périmètre. Ce que le texte empêche, c’est la résurgence de droits privés sur des biens devenus publics.
Les affaires judiciaires récentes à Alger et Oran illustrent ce que l’article 42 combat réellement : non pas une campagne d’expropriation, mais des tentatives de transformer des biens publics en biens privés par manipulation des archives foncières. Faux actes, registres trafiqués, chaînes documentaires bricolées : c’est sur ce terrain que l’article 42 intervient, avec son volet pénal.
Le projet de loi sur le colonialisme ne modifie donc pas la mécanique foncière. Il en change la portée symbolique. Les biens concernés ne sont plus seulement un dossier technique, ils deviennent des témoins matériels d’une rupture historique que l’État veut sanctuariser.