M A G H R E B

E M E R G E N T

Maghreb

Champions de la cause palestinienne, les Algériens ratent le BDS

Suivez-nous sur Google News

La question palestinienne galvanise beaucoup d’AlgĂ©riens. Notre pays a tellement souffert des affres du colonialisme qu’il nous est difficile aujourd’hui pour nous de nous dĂ©tacher de ce qui constitue la plus grande injustice de l’histoire rĂ©cente.

 

Cependant, si beaucoup d’entre nos compatriotes sont prĂȘts Ă  crier leur amour pour la Palestine et brandir le drapeau palestinien dĂšs qu’ils en ont l’occasion, trĂšs peu adhĂšrent Ă  la campagne de BDS (Boycott, DĂ©sinvestissement, Sanctions). Une lacune d’autant plus surprenante que BDS est actuellement la mĂ©thode la plus efficace et la plus civile pour faire plier le projet colonial sioniste.

LancĂ©e par la sociĂ©tĂ© civile palestinienne en 2005, suite Ă  des annĂ©es de rĂ©sistance non fructueuses contre IsraĂ«l et sa politique d’apartheid et d’Ă©puration ethnique, la campagne de BDS appelle les citoyens de conscience Ă  boycotter les produits israĂ©liens, et Ă  pratiquer un boycott culturel et acadĂ©mique jusqu’Ă  ce qu’IsraĂ«l se conforme au droit international et reconnaisse le droit aux Palestiniens Ă  vivre dans la dignitĂ©.

Cette mĂ©thode de rĂ©sistance non violente s’inspire du modĂšle de boycott, de sanctions et de retraits des investissements qui ont menĂ© Ă  la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Dans un contexte d’Ă©chec affligeant de diffĂ©rentes tentatives internationales de paix, BDS offre une rĂ©elle alternative pour la rĂ©sistance palestinienne.

En 2011, Agrexco, l’ancien leader israĂ©lien dans l’exportation de produits agricoles est entrĂ© en liquidation aprĂšs une campagne de BDS qui a visĂ© Ă  empĂȘcher les supermarchĂ©s et les gouvernements de plus de 13 pays europĂ©ens d’acheter les produits du gĂ©ant israĂ©lien.

Par ailleurs, la ConfĂ©rence des Nations Unies sur le Commerce et le DĂ©veloppement (CNUCED), montre qu’entre 2013 et 2014, IsraĂ«l a vu une diminution de 46% des Investissements Directes Étrangers (IDE). La guerre sanguinaire menĂ©e par IsraĂ«l Ă  Gaza et la compagne de BDS sont les deux principales explications derriĂšre cette chute importante des IDE.

MalgrĂ© ces victoires et plusieurs autres, il reste beaucoup d’efforts Ă  faire pour faire flĂ©chir le rĂ©gime sioniste et l’amener au dĂ©mantĂšlement de sa politique coloniale. L’AlgĂ©rie et les AlgĂ©riens ne contribuent que marginalement Ă  cette campagne de boycott.

L’Etat AlgĂ©rien n’applique pas le boycott des compagnies visĂ©es par BDS

BDS ne vise pas toutes les compagnies Ă©trangĂšres qui font du business en IsraĂ«l. Le rapport de force actuel ne le permet pas. Par contre, BDS vise toutes les compagnies israĂ©liennes, ainsi que toutes les compagnies Ă©trangĂšres qui profitent de l’apartheid et du colonialisme israĂ©lien, y compris celles prĂ©sentes sur les territoires palestiniens occupĂ©s (territoires colonisĂ©s depuis 1967 en violation totale du droit international).

Si l’AlgĂ©rie, par sa non-reconnaissance diplomatique d’IsraĂ«l, n’entretient pas de relations commerciales officielles avec l’État hĂ©breu et ses compagnies, elle ne boycotte en aucun cas les compagnies Ă©trangĂšres qui acceptent de sous-traiter dans les colonies israĂ©liennes.

Par exemple, la multinationale française Veolia a Ă©tĂ© la cible de BDS depuis novembre 2008, en raison de son implication dans la construction et la maintenance d’infrastructures dans les colonies israĂ©liennes comme le tramway de JĂ©rusalem qui a Ă©tĂ© conçu pour connecter les colonies construites Ă  JĂ©rusalem Est Ă  l’Ouest de la ville.

Pour sanctionner Veolia de sa participation au projet colonial israĂ©lien, plusieurs municipalitĂ©s locales Ă  travers l’Europe et l’Australie ont dĂ©cidĂ© de ne pas lui confier de marchĂ©s. De nombreuses autoritĂ©s municipales ont Ă©galement mis en Ɠuvre des politiques pour exclure Veolia des soumissions sur les contrats locaux.

Entre-temps, en AlgĂ©rie, nation autrefois rĂ©volutionnaire, Veolia s’est vu attribuer de gros marchĂ©s. En 2011, au pic de la campagne contre Veolia et son cautionnement du colonialisme, OTV, la filiale de Veolia spĂ©cialisĂ©e dans le traitement des eaux, a gagnĂ© un marchĂ© de 2,7 milliards de dinars pour la rĂ©habilitation et l’exploitation des stations d’Ă©puration des eaux usĂ©es implantĂ©es Ă  Beni Merad Ă  Blida en coopĂ©rant avec GESITP.

Pourtant grùce aux efforts continus de la campagne de BDS, les pertes de Veolia ont atteint les 20 milliards de dollars. Le groupe français a été forcé en août 2015 de se retirer de tous les projets dans les territoires occupés en liquidant ses derniers 5%s dans le projet du tramway de Jérusalem.

Le groupe français a mĂȘme admis publiquement que son retrait Ă©tait dĂ» aux dĂ©gĂąts causĂ©s par la campagne de BDS. L’AlgĂ©rie n’aura jouĂ© aucun rĂŽle dans cette victoire.

Par ailleurs, Alstom, autre compagnie française lourdement impliquĂ©e dans la construction et la maintenance du tramway de JĂ©rusalem, a gagnĂ© des milliards de dollars dans des marchĂ©s publics algĂ©riens comme le tramway d’Alger, d’Oran et de Constantine.

Un paradoxe quand on constate que l’Arabie Saoudite, connue pour son faible engagement pour la cause palestinienne, a rejetĂ© en 2011 l’offre d’Alstom pour la rĂ©alisation du tramway de Haramain.

L’implication de la compagnie dans la construction illĂ©gale du tramway de JĂ©rusalem a Ă©tĂ© citĂ©e comme la cause principale derriĂšre cette dĂ©cision qui a fait perdre au groupe français 10 milliards de dollars. Comme Veolia, Alstom s’est depuis retirĂ© du tramway de JĂ©rusalem.

Caterpillar (CAT), le plus grand fabricant au monde de machines de construction (et de destruction) est un autre exemple de la complaisance du rĂ©gime algĂ©rien face aux compagnies qui profitent directement du systĂšme d’oppression instaurĂ© par IsraĂ«l.

Caterpillar dĂ©tient le seul contrat pour la construction du bulldozer militaire D9, spĂ©cialement conçu pour les invasions des zones bĂąties. Depuis 1967, Caterpillar sous-traite avec l’armĂ©e israĂ©lienne pour la dĂ©molition de dizaines de milliers de maisons palestiniennes et le dĂ©racinement de centaines de milliers d’arbres.

Caterpillar Bulldozer utilisĂ© par l’armĂ©e israĂ©lienne pour dĂ©truire des maisons palestiniennes dans la ville de HĂ©bron, en Cisjordanie occupĂ©e, DĂ©cembre 2010.

Le bulldozer D9 a Ă©tĂ© largement utilisĂ© par IsraĂ«l au cours de l’opĂ©ration « Bouclier DĂ©fensif » en 2001-2002, en particulier lors de l’invasion de Ariha (JĂ©nine), oĂč de nombreuses maisons ont Ă©tĂ© dĂ©truites par des bulldozers.

Un homme handicapé, ne pouvant pas quitter sa maison a été enseveli sous les décombres. Caterpillar a aussi signé des contrats juteux dans le cadre de la construction du mur de séparation qui a coupé de nombreux villages palestiniens du reste de la Cisjordanie.

Caterpillar est ciblĂ© par BDS depuis plusieurs annĂ©es, et si la campagne connue sous le nom de ‘Caterkiller’ a enregistrĂ© quelques victoires contre le gĂ©ant amĂ©ricain, la bataille n’est pas encore gagnĂ©e.

Curieusement, en AlgĂ©rie, les autoritĂ©s ne se sont point indisposĂ©es par les activitĂ©s de Caterpillar en territoires occupĂ©s. À travers son concessionnaire Bergerat Monnoyeur, Caterpillar, vend ses engins comme des petits pains et profite au-delĂ  de toute espĂ©rance de l’explosion des commandes des chantiers publics en AlgĂ©rie depuis 15 ans.

Il n’y a, au fond, rien de surprenant dans tout ça. Nous savons depuis quelque temps que l’engagement algĂ©rien dans la cause palestinienne n’est qu’une simple rhĂ©torique qui sert de couverture morale dans un contexte de perte critique d’Ă©thique et de principes moraux au sein des hautes sphĂšres de l’État.

Une des derniĂšres illustrations en est la tentative d’instrumentaliser la cause palestinienne par Chakib Khelil sur son mur Facebook. AprĂšs que le nom de son Ă©pouse, amĂ©ricano-Palestine, ait Ă©tĂ© associĂ© Ă  des comptes bancaires qui ont reçu une partie des commissions de Saipem, dans l’affaire de corruption de Sonatrach 2, l’ancien ministre de l’Énergie a prĂ©sentĂ© l’engagement de sa femme pour l’indĂ©pendance de son pays, la Palestine, comme une preuve valable de son innocence. Il a Ă©galement traitĂ© d’agents sionistes les mĂ©dias qui ont enquĂȘtĂ© sur le scandale.

Des marques ciblées par BDS, «populaires» en Algérie !

S’il n’est pas possible de compter sur notre gouvernement actuel pour dĂ©fendre la cause palestinienne, il n’est pas interdit, par contre, en tant que consommateurs, de faire des choix responsables qui aideront Ă  faire pression sur le systĂšme discriminatoire d’IsraĂ«l.

La liste des marques ciblées par BDS est consistante. Toutes ne comptent pas dans la vie des Algériens. Quelques-unes sont, cependant, suffisamment présentes dans leur quotidien pour espérer que leur boycott ajoute de la force à la campagne de BDS et contribue à mettre fin à la tragédie subie par le peuple palestinien.

Dans la tĂ©lĂ©communication, l’application israĂ©lienne Viber figure dans la liste de BDS. NĂ©e en 2010 en IsraĂ«l, Viber est de plus en plus utilisĂ©e par les usagers AlgĂ©riens des smartphones grĂące au dĂ©collage rĂ©cent de l’internet mobile (3G).

Son PDG et un de ses crĂ©ateurs, Talmon Marco, a servi comme officier en chef en informatique au sein de l’armĂ©e israĂ©lienne pendant plusieurs annĂ©es. L’application a souvent fait l’objet de critiques l’accusant de servir d’outil d’espionnage pour le compte d’IsraĂ«l.

En cosmĂ©tique, le groupe Français L’OrĂ©al fait partie de la liste des marques Ă  boycotter. Le gĂ©ant de la cosmĂ©tique offre par son activitĂ© un maquillage aux violations du droit international commis par IsraĂ«l. L’OrĂ©al IsraĂ«l fabrique une gamme de produits Ă  partir des minĂ©raux de la Mer Morte dont plus d’un tiers des rives occidentales se situe en Cisjordanie occupĂ©e. Les Palestiniens sont interdits d’accĂšs Ă  la totalitĂ© des rivages par l’occupation militaire israĂ©lienne.

Mais s’il est encore facile de boycotter en AlgĂ©rie les deux marques prĂ©cĂ©dentes, c’est dans le fameux Delta Galil Groupe que peut rĂ©ellement s’Ă©valuer la ferveur de l’engagement pro-Palestinien des AlgĂ©riens.

Delta Galil est une entreprise israĂ©lienne de textile qui a son entrepĂŽt principal dans la zone industrielle de Barkan, une colonie israĂ©lienne en Cisjordanie. Le groupe gĂšre Ă©galement des magasins Ă  Ma’aleh Adumim et Pisgat Ze’ev dans les territoires Palestiniens occupĂ©s.

Ces colonies, parmi d’autres, sont largement considĂ©rĂ©es comme le plus grand obstacle Ă  la rĂ©ussite du processus de paix. Delta Galil vend du textile et du prĂȘt-Ă -porter aux marques suivantes : Mark and Spencer, Calvin Klein, Nike, Victoria’s Secret, Hugo Boss, Tommy Hilfiger, JC Penny, GAP, Target, Wal-Mart, Nicole Miller, Lacoste, Triumph, Pierre Cardin…

Pour certains, l’engagement Ă  la campagne de BDS peut paraĂźtre compliquĂ© devant une telle liste mais en rĂ©alitĂ©, au temps de la globalisation, chaque marque Ă  au moins une dizaine de substitution possibles.

BDS, une arme redoutable

Le meilleur moyen de mesurer le succĂšs de BDS, en dehors de la diminution de l’investissement direct en IsraĂ«l et du nombre croissant d’institutions qui rejoignent le boycott, est la fĂ©rocitĂ© grandissante des attaques contre le mouvement.

Le 06 juin 2016, Andrew Cuomo, gouverneur de l’État de New York et personnage politique fortement influencĂ© par AIPAC, lobby israĂ©lien aux États Unies, a dĂ©clarĂ© en s’adressant aux compagnies qui adhĂšrent Ă  BDS: « Si vous boycottez IsraĂ«l, New York vous boycottera… Si vous sanctionnez IsraĂ«l, New York vous sanctionnera ».

Manuel Valls, Premier ministre Français, a, compte Ă  lui, dĂ©clarĂ© au dĂźner annuel du Crif en Mars que les mots ‘antisionisme’ et ‘antisĂ©mitisme’ Ă©taient des synonymes et qu’en France le boycott des produits israĂ©liens Ă©taient un acte ‘illĂ©gal’… Le pays de la libertĂ© d’expression disent-ils !

La bataille pour lĂ©gitimer BDS est donc rude, mais elle en vaut la peine; une solution juste pour un peuple longtemps opprimĂ© est en jeu. Et pour les pessimistes qui pensent que ça ne sert Ă  rien de rejoindre le boycott parce que c’est impossible de vaincre le rĂ©gime sioniste d’IsraĂ«l, je laisse ‘The Greatest’ leur rĂ©pondre :

‘Impossible n’est rien qu’une excuse avancĂ©e par ceux qui trouvent plus facile de vivre dans le monde qui leur a Ă©tĂ© lĂ©guĂ© plutĂŽt que de chercher en eux la force de le changer. Impossible n’est pas un fait, c’est une opinion. Impossible n’est pas une fatalitĂ©, c’est un dĂ©fi. Impossible est provisoire. Impossible n’est rien’ Mohamed Ali, 1942-2016.