La 10ᵉ édition des Assises nationales des commissaires aux comptes, tenue les 22 et 23 décembre 2025 à Alger, a marqué un changement de dimension. Loin d’un simple forum corporatiste, la rencontre s’est imposée comme une plateforme stratégique où la profession de l’audit a affiché une ambition explicite : devenir un levier central de la souveraineté financière et contribuer à la sortie durable de l’Algérie de la liste grise du GAFI.
Les résolutions adoptées sont présentées par les organisateurs comme « l’expression officielle et solennelle des engagements de la profession », avec pour objectif affiché la restauration de la confiance des partenaires internationaux.
La sortie de la liste grise au cœur de la feuille de route
Le premier ensemble de résolutions place la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au cœur des missions du commissaire aux comptes. L’objectif est assumé : accompagner l’État dans le processus de sortie de la liste grise du GAFI, en alignant la pratique quotidienne de l’audit sur les critères d’évaluation de l’organisme international.
La profession s’engage ainsi à intégrer systématiquement, dans ses travaux, les exigences de transparence financière, de traçabilité des flux et de détection des schémas à risque.
Cette montée en puissance passe par l’élaboration d’une « doctrine nationale » en matière de LBC/FT. Il ne s’agit plus seulement d’appliquer des textes, mais de disposer d’un référentiel technique commun, adapté au contexte algérien, afin de réduire les zones grises d’interprétation.
Dans cette logique, le concept de « bénéficiaire effectif » devient un axe transversal. Identifier qui contrôle réellement une société ou une structure est présenté comme un outil central de lutte contre l’évasion fiscale, les montages opaques et les circuits illicites.
Réformes, assainissement et nouveau pacte avec l’État
Le deuxième volet des résolutions s’attaque au cadre juridique et à l’organisation de la profession. L’adoption d’un nouveau texte de loi est jugée indispensable pour clarifier les responsabilités, sécuriser les missions et rendre le dispositif lisible pour les partenaires étrangers.
La création d’un cadre permanent de concertation entre la Chambre nationale des commissaires aux comptes, la Cellule de traitement du renseignement financier et la magistrature doit permettre une meilleure circulation de l’information et une réponse plus cohérente face à la criminalité financière.
Les assises ont également mis en lumière l’ampleur de l’exercice illégal de la profession. Le décalage entre les agréments délivrés par le ministère des Finances et les inscriptions effectives au tableau de l’Ordre est qualifié d’« atteinte grave à l’ordre public économique ». Les résolutions appellent à un assainissement rigoureux : retrait des agréments non régularisés, rappel aux entreprises de leur obligation de recourir à des professionnels inscrits et lutte explicite contre les pratiques de complaisance.
Parallèlement, la profession se fixe des exigences renforcées en matière de formation continue, de contrôle qualité et d’éthique, érigeant le scepticisme professionnel et l’exemplarité en fondements de sa crédibilité future.
Vers un nouveau statut dans la gouvernance financière
Ce socle débouche sur un « pacte de confiance État-profession ». Les commissaires aux comptes s’engagent à mettre leurs compétences au service de la formalisation de l’économie, de la lutte contre la criminalité financière et de l’attractivité de l’investissement. En retour, ils appellent les pouvoirs publics à soutenir la montée en gamme du métier : appui aux dispositifs de contrôle qualité, reconnaissance institutionnelle et intégration de l’audit dans les grandes réformes financières.
Ce pacte doit se traduire, dès 2026, par une feuille de route nationale 2026-2028 et par la mise en œuvre des recommandations d’un Livre blanc.
La clôture des assises a pris une dimension symbolique : lecture des résolutions en arabe puis en français, annonce d’un cycle de formation sur la loi de finances 2026 à Alger, Constantine et Oran, et organisation d’un panel de haut niveau consacré à « la responsabilité civile et pénale des associations et des professionnels du secteur financier ».
Derrière le protocole, un message clair se dessine : le commissaire aux comptes algérien n’est plus cantonné au rôle de technicien de fin de chaîne, mais revendique désormais un statut d’acteur stratégique de la gouvernance financière.
À ce titre, les Assises de 2025 pourront être relues comme un point d’inflexion : celui où l’audit algérien est passé du statut de certificateur discret à celui de rempart assumé de la crédibilité financière du pays, à un moment où l’Algérie cherche à sortir durablement de la zone grise du GAFI.