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Algérie : terres rares, nouvel atout stratégique ?  

Par Lyas Amara 28 juillet 2025

Dans un monde en pleine transition énergétique, les terres rares deviennent un enjeu industriel et géopolitique majeur. Aimants pour moteurs électriques, éoliennes, écrans plats, lasers ou encore technologies militaires : ces métaux discrets sont présents dans presque tous les composants de haute technologie. L’Algérie, encore largement dépendante des hydrocarbures, se rêve en acteur incontournable de cette nouvelle économie verte. Mais ce rêve est-il à portée de main ?

Que sont les terres rares et pourquoi sont-elles stratégiques ?

Malgré leur nom, les terres rares ne sont pas particulièrement rares dans la croûte terrestre. Il s’agit de 17 éléments chimiques aux propriétés électromagnétiques uniques, dont les plus connus sont le néodyme (Nd), le praséodyme (Pr), le dysprosium (Dy) ou encore le terbium (Tb). Ces métaux sont indispensables à la fabrication d’aimants permanents, utilisés notamment dans les véhicules électriques, les turbines éoliennes, les dispositifs médicaux, ou encore les technologies de défense.

En 2024, la Chine contrôle près de 90 % de la production mondiale, ce qui inquiète l’Europe et les États-Unis, très dépendants de ses exportations. Résultat : ces puissances cherchent à diversifier leurs approvisionnements. Et c’est là que l’Algérie entre en jeu.

Un sous-sol riche, mais encore méconnu

Depuis plusieurs années, des responsables algériens avancent que le pays pourrait détenir jusqu’à 20 % des réserves mondiales de terres rares. Un chiffre impressionnant… mais non certifié à ce jour par des standards internationaux. Pour autant, le potentiel géologique existe bel et bien.

Les gisements algériens se répartissent principalement sur deux grandes zones :

Le Sud saharien (Hoggar) : des formations de carbonatites et de granites à métaux rares, notamment dans la région d’Ebelekan, pourraient contenir des éléments lourds à forte valeur stratégique comme le dysprosium et le terbium.

Le Nord-Est algérien (Tébessa et les hauts plateaux) : les phosphorites, destinées à l’industrie des engrais, renferment des concentrations intéressantes en néodyme et praséodyme. Ces terres rares pourraient être extraites en coproduction à moindre coût.

Une troisième catégorie de gisements, plus diffuse, est présente dans les zones montagneuses du Nord, où certains granites anciens abriteraient des quantités exploitables de terres rares accessoires.

Des chiffres annoncés, mais encore peu de preuves tangibles

À ce jour, aucune de ces réserves n’a été certifiée selon les normes internationales (JORC ou NI 43-101). Les études de laboratoire, bien que prometteuses, restent limitées à de petites surfaces. Sans forages systématiques ni analyses spectrométriques poussées, les annonces officielles demeurent spéculatives. Or, les investisseurs internationaux exigent des données solides avant de s’engager.

Quels bénéfices pour l’Algérie ?

Si elle parvient à structurer une filière intégrée, l’Algérie pourrait engranger entre 4 et 6 milliards de dollars par an d’ici 2035, tout en réduisant sa dépendance aux hydrocarbures. Voici quelques axes de création de valeur : Production d’oxydes raffinés (comme le NdPr) pour l’export, transformation locale en alliages magnétiques et aimants permanents, qui peuvent décupler la valeur du minerai brut, création d’emplois qualifiés dans les domaines de la chimie, de la métallurgie et de la recherche, développement des infrastructures (notamment le corridor sud-nord Gara Djebilet – Hoggar) et synergies industrielles avec le mégaprojet de phosphate et d’engrais de Tébessa.

Une usine d’aimants NdFeB à Oran, prévue à l’horizon 2029, pourrait alimenter jusqu’à 5 GWh de moteurs électriques par an, favorisant aussi l’émergence d’une filière automobile nationale.

Un jeu d’alliances à construire

L’Algérie suscite l’intérêt de plusieurs grandes puissances : La Chine offre des technologies clés en main et des financements rapides, l’Union européenne propose des partenariats plus durables, mais exigeants en matière environnementale (ESG) et les États-Unis misent sur la sécurité d’approvisionnement et des garanties souveraines.

Alger doit arbitrer entre ces offres. La nouvelle loi minière, adoptée récemment par les deux chambres parlementaires, qui classe les terres rares comme « ressources stratégiques », renforce le contrôle de l’État : toute exploitation requiert l’aval du président. Un fonds souverain des métaux critiques est même à l’étude pour capter les royalties et financer l’innovation locale.

Des défis techniques et environnementaux de taille

Extraire des terres rares est une opération coûteuse et polluante. Le procédé de séparation par solvants nécessite d’énormes quantités d’eau – un défi majeur dans les régions désertiques. Par ailleurs, certains minéraux comme la monazite contiennent du thorium et de l’uranium, ce qui impose des normes strictes de gestion des déchets radioactifs.

L’Algérie manque aussi de compétences spécialisées. Un effort massif de formation est nécessaire, notamment à travers des programmes universitaires ciblés à Tamanrasset ou Alger (USTHB), pour créer une génération d’ingénieurs en hydrométallurgie et matériaux critiques.

Un rendez-vous avec l’histoire industrielle du pays

Si l’Algérie veut éviter que son potentiel ne reste un simple argument de discours, elle doit agir rapidement. La concurrence mondiale s’intensifie : l’Australie, les États-Unis, le Canada, mais aussi la Chine multiplient les projets et les investissements en Afrique.

La fenêtre stratégique se referme vite. Le pays doit désormais passer de la promesse à l’action : certifier ses réserves, bâtir des alliances équilibrées, et industrialiser localement une filière à très haute valeur ajoutée. Car pour la première fois depuis l’indépendance, l’Algérie tient peut-être entre ses mains la clé d’un modèle économique post-pétrole.

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