« Des musiciens qui ne sâĂ©taient jamais vus auparavant ont rĂ©pĂ©tĂ© ensemble pendant une semaine et ont fini par nous livrer une belle mĂ©lodie. En fait, câest cela Raconte-arts; un beau morceau de musique fait par des personnes qui se connaissent Ă peine». Cette dĂ©finition plutĂŽt imagĂ©e est celle de notre photographe Youcef, devenu poĂšte dâun jour quelque part au sommet dâune montagne Kabyle.
Comme Youcef, ceux qui ont Ă©tĂ© sĂ©duits par ce festival au concept particulier se comptent par milliers, et, Ă en croire les organisateurs de lâĂ©vĂ©nement, leur nombre ne cesse dâaugmenter. Raconte-arts sâest fixĂ© comme objectif dâĂ©lever, sans cesse, le niveau de sa performance. Cette annĂ©e, il a carrĂ©ment pris de lâaltitude en sâinstallant dans le village le plus haut de Kabylie.
Tiferdoud, prononcĂ© Thiferdhodh par les intimes, village de plus dâun millier dâhabitants culmine Ă prĂšs de 2000 mĂštres dâaltitude. Tout juste situĂ© entre Ain Hammam et les nuages, ce bourg vieux de 700 ans semble avoir dâinnombrables histoires Ă raconter. La plus rĂ©cente dâentre elles est celle de son classement, lâannĂ©e derniĂšre, «village le plus propre de Tizi-ouzou ». Un titre prestigieux qui fait courir les communes de la wilaya depuis une dizaine dâannĂ©es.
Et cet Ă©tĂ©, les habitants de Tiferdoud sont dâautant plus fiers que Raconte-arts, festival, aujourdâhui de renommĂ©e internationale, ait choisi leur village pour y tenir sa quinziĂšme Ă©dition. Du 19 au 26 juillet courant, les amateurs du festival ont eu largement le loisir dâapprĂ©cier les Ćuvres dâartistes de diffĂ©rents horizons tout en dĂ©couvrant ce village pittoresque. Câest prĂ©cisĂ©ment lâidĂ©e du festival: sâinviter dans un village et en faire, une semaine durant, le théùtre dâune sĂ©rie de spectacles artistiques de toutes sortes.
A notre arrivĂ©e Ă Tiferdoud, câest une troupe de jeunes musiciens amateurs qui nous reçoit, oĂč plutĂŽt qui nous prĂ©cĂšde. Au rythme dâune musique guillerette, trompettistes et percussionnistes nous guident Ă travers le village. Dans des rues sinueuses, Ă©troites, parfois trĂšs Ă©troites. Au centre de ce dĂ©dale, lâincontournable « Thadjmaath », lieu oĂč les sages se rĂ©unissent pour parler des choses de la vie et oĂč les dĂ©cisions les plus importantes sont prises. Mais ce jour-lĂ , les patriarches ne sâĂ©taient pas installĂ©s sur leurs bancs, dos contre le mur, comme ils ont lâhabitude de le faire. Le lieu Ă©tait occupĂ©, encombrĂ© par des groupes de musiciens et les visiteurs venus de diffĂ©rentes rĂ©gions du pays et de lâĂ©tranger.
A Tiferdoud, lâambiance nâĂ©tait pas uniquement sonore, elle Ă©tait aussi visuelle. Le temps du festival, des artistes avaient couvert les murs du village de desseins, de couleurs, de fresques abstraites, parfois amusantes. Il y avait aussi des expositions photos traitant de questions sĂ©rieuses comme celle du phĂ©nomĂšne de la migration. Dâautres photos plus personnelles, plus obscures, par moment, mais pas moins captivantes tapissaient les murs. Artisans et marchands de souvenirs Ă©taient eux aussi nombreux. Ils ne pouvaient rater cet Ă©vĂ©nement qui avait transformĂ© le village en un espace de rencontres internationales. Tiferdoud vivaient au rythme de la musique, des rires et des lumiĂšres. Et dans ses rues, on jouait des airs lĂ©gers et on exĂ©cutait des chorĂ©graphies modernes. Un peu partout,  des spectacles naissaient et sâachevaient de maniĂšre spontanĂ©e sans invitation ni fanfare. Il y avait bien des affiches çà et lĂ annonçant galas, concerts de musique et ateliers artistiques, mais câĂ©tait lâimprovisation qui prenait Ă chaque fois le dessus. Il suffisait quâun musicien sorte sa guitare pour que la fĂȘte reprenne.
Dans un coin du village, des artistes dâun genre particulier captaient lâattention des visiteurs ; des cuisiniers maliens proposaient un plat qui nâa laissĂ© personne indiffĂ©rent. Le poulet Yassa, plat dâorigine sĂ©nĂ©galaise fait de riz et de viande blanche, Ă©tait devenu, au festival, aussi populaire que certains artistes. On se bousculait pour en avoir un plat. Sur place, il nây avait ni table ni chaise mais quâimporte, un plat aussi dĂ©licieux se dĂ©guste debout, presque par respect.
Raconte-arts, un événement culturel avec un potentiel économique
Si le festival Raconte-arts nâa pas dâambition commerciale, il nâen demeure pas moins un Ă©vĂ©nement Ă fort potentiel Ă©conomique. Principalement en raison de sa facultĂ© Ă mettre en valeur les atouts touristiques des rĂ©gions oĂč il se tient.
En sâinvitant dans des villages authentiques et chargĂ©s dâhistoire, le festival offre au visiteur un voyage Ă la fois dans lâespace et dans le temps. Et câest prĂ©cisĂ©ment ce que cherche un touriste en quĂȘte de dĂ©paysement. Beaucoup parmi les visiteurs de Tiferdoud ont Ă©tĂ© dâailleurs sĂ©duits pas lâoriginalitĂ© de ce village et par les paysages montagneux de la rĂ©gion oĂč il se trouve.
Dans ce village, justement, des habitants pensent dĂ©jĂ explorer le potentiel touristique des lieux. Mohand Ousalem  Sadali, reprĂ©sentant du comitĂ© organisateur du Raconte-arts au niveau du village nous rĂ©vĂšle que des habitants nourrissent lâespoir de voir les touristes revenir en rĂ©flĂ©chissant Ă une formule leur permettant de louer leurs demeures Ă bon prix. LâexpĂ©rience du Raconte-arts a étĂ©, semble-t-il, dĂ©terminante et câest dans les yeux des festivaliers que les habitants ont entrevue tout ce que leur rĂ©gion pouvait offrir. Les possibilitĂ©s vont bien au-delĂ des 85000 tickets de parking vendus pendant la semaine du Raconte-arts. Un chiffre livrĂ© par les organisateurs. HacĂšne Metref, lâun des fondateurs du festival a parlĂ©, quant Ă lui,  de 100.000 visiteurs cette annĂ©e, soit plus du double du chiffre enregistrĂ© lâannĂ©e derniĂšre.

Un événement pour la mémoire
Le nom du village de Tiferdoud est associĂ© Ă Kamel Amzal, un militant connu pour son engagement pour la dĂ©mocratie assassinĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1980. Pour certains festivaliers, lâĂ©vĂ©nement Ă©tait une occasion pour se rendre au cimetiĂšre du village afin de se recueillir sur la tombe du militant, loin du bourdonnement des fĂȘtards.
Dans le village, une association porte le nom de Kamel Amzal. Parmi ses membres de dignes représentants de la jeune génération.
Non loin du cimetiĂšre se trouve la maison oĂč Hocine Ait Ahmed avait passĂ© une partie de son enfance. Autre lieu oĂč des visiteurs se sont attardĂ©s. Dans la cours de la maison, une tente avait Ă©tĂ© dressĂ©e accueillant des ateliers sur diffĂ©rents thĂšmes, animĂ©s essentiellement par des jeunes.
Au Raconte-arts de cette annĂ©e, il y avait de tout.  Du bon mais aussi quelques incidents. Des habitants dâun village voisin sâĂ©taient rendus dans un gala avec lâintention dây semer la pagaille. Lâhistoire a Ă©tĂ© vite rĂ©glĂ©e, mais elle laissera probablement quelques traces. Autre moment, autre incident; un membre du comitĂ© dâorganisation du village avait commis une maladresse avec un journaliste Ă cause dâune futile histoire de matelas. Mais rien de bien grave. De trĂšs nombreux autres villageois aimables et souriants font, sans efforts, la bonne rĂ©putation de leur village.
Certaines rues de Tiferdoud Ă©taient interdites aux festivaliers. Et des Ă©criteaux Ă©taient lĂ pour le rappeler. MalgrĂ© tout, le Raconte-arts sâest bien dĂ©roulĂ© et le carnaval organisĂ© le dernier jour de lâĂ©vĂ©nement avait rĂ©ussi Ă faire oublier les petites imperfections.
Le festival a Ă©tĂ© un succĂšs parce quâil a rĂ©ussi Ă donner une autre idĂ©e de lâart et surtout parce quâil a rĂ©ussi Ă attirer des milliers de personnes, artistes et amateurs dâart dans un espace aussi improbable quâun paisible village algĂ©rien.
En dĂ©finitive, le Raconte-arts est lui-mĂȘme un spectacle en partie improvisĂ©, une Ćuvre Ă laquelle chacun apporte quelque chose. Tout compte fait, le Raconte-arts pourrait effectivement ĂȘtre vu comme un beau morceau de musique.