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Algérie: Raconte-arts 2018, une rencontre artistique
au sommet (Reportage)

Photo/ Youcef Abba

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 « Des musiciens qui ne s’étaient jamais vus auparavant ont rĂ©pĂ©tĂ© ensemble pendant une semaine et ont fini par nous livrer une belle mĂ©lodie. En fait, c’est cela Raconte-arts; un beau morceau de musique fait par des personnes qui se connaissent Ă  peine». Cette dĂ©finition plutĂŽt imagĂ©e est celle de notre photographe Youcef, devenu poĂšte d’un jour quelque part au sommet d’une montagne Kabyle.

Comme Youcef, ceux qui ont Ă©tĂ© sĂ©duits par ce festival au concept particulier se comptent par milliers, et, Ă  en croire les organisateurs de l’évĂ©nement, leur nombre ne cesse d’augmenter. Raconte-arts s’est fixĂ© comme objectif d’élever, sans cesse, le niveau de sa performance. Cette annĂ©e, il a carrĂ©ment pris de l’altitude en s’installant dans le village le plus haut de Kabylie.

Tiferdoud, prononcĂ© Thiferdhodh par les intimes, village de plus d’un millier d’habitants culmine Ă  prĂšs de 2000 mĂštres d’altitude. Tout juste situĂ© entre Ain Hammam et les nuages, ce bourg vieux de 700 ans semble avoir d’innombrables histoires Ă  raconter. La plus rĂ©cente d’entre elles est celle de son classement, l’annĂ©e derniĂšre, «village le plus propre de Tizi-ouzou ». Un titre prestigieux qui fait courir les communes de la wilaya depuis une dizaine d’annĂ©es.

Et cet Ă©tĂ©, les habitants de Tiferdoud sont d’autant plus fiers que Raconte-arts, festival, aujourd’hui de renommĂ©e internationale, ait choisi leur village pour y tenir sa quinziĂšme Ă©dition. Du 19 au 26 juillet courant, les amateurs du festival ont eu largement le loisir d’apprĂ©cier les Ɠuvres d’artistes de diffĂ©rents horizons tout en dĂ©couvrant ce village pittoresque. C’est prĂ©cisĂ©ment l’idĂ©e du festival: s’inviter dans un village et en faire, une semaine durant, le théùtre d’une sĂ©rie de spectacles artistiques de toutes sortes.

A notre arrivĂ©e Ă  Tiferdoud, c’est une troupe de jeunes musiciens amateurs qui nous reçoit, oĂč plutĂŽt qui nous prĂ©cĂšde. Au rythme d’une musique guillerette, trompettistes et percussionnistes nous guident Ă  travers le village. Dans des rues sinueuses, Ă©troites, parfois trĂšs Ă©troites. Au centre de ce dĂ©dale, l’incontournable « Thadjmaath », lieu oĂč les sages se rĂ©unissent pour parler des choses de la vie et oĂč les dĂ©cisions les plus importantes sont prises. Mais ce jour-lĂ , les patriarches ne s’étaient pas installĂ©s sur leurs bancs, dos contre le mur, comme ils ont l’habitude de le faire. Le lieu Ă©tait occupĂ©, encombrĂ© par des groupes de musiciens et les visiteurs venus de diffĂ©rentes rĂ©gions du pays et de l’étranger.

A Tiferdoud, l’ambiance n’était pas uniquement sonore, elle Ă©tait aussi visuelle. Le temps du festival, des artistes avaient couvert les murs du village de desseins, de couleurs, de fresques abstraites, parfois amusantes. Il y avait aussi des expositions photos traitant de questions sĂ©rieuses comme celle du phĂ©nomĂšne de la migration. D’autres photos plus personnelles, plus obscures, par moment, mais pas moins captivantes tapissaient les murs. Artisans et marchands de souvenirs Ă©taient eux aussi nombreux. Ils ne pouvaient rater cet Ă©vĂ©nement qui avait transformĂ© le village en un espace de rencontres internationales. Tiferdoud vivaient au rythme de la musique, des rires et des lumiĂšres. Et dans ses rues, on jouait des airs lĂ©gers et on exĂ©cutait des chorĂ©graphies modernes. Un peu partout,  des spectacles naissaient et s’achevaient de maniĂšre spontanĂ©e sans invitation ni fanfare. Il y avait bien des affiches çà et lĂ  annonçant galas, concerts de musique et ateliers artistiques, mais c’était l’improvisation qui prenait Ă  chaque fois le dessus. Il suffisait qu’un musicien sorte sa guitare pour que la fĂȘte reprenne.

Dans un coin du village, des artistes d’un genre particulier captaient l’attention des visiteurs ; des cuisiniers maliens proposaient un plat qui n’a laissĂ© personne indiffĂ©rent. Le poulet Yassa, plat d’origine sĂ©nĂ©galaise fait de riz et de viande blanche, Ă©tait devenu, au festival, aussi populaire que certains artistes. On se bousculait pour en avoir un plat. Sur place, il n’y avait ni table ni chaise mais qu’importe, un plat aussi dĂ©licieux se dĂ©guste debout, presque par respect.

Raconte-arts, un événement culturel avec un potentiel économique

Si le festival Raconte-arts n’a pas d’ambition commerciale, il n’en demeure pas moins un Ă©vĂ©nement Ă  fort potentiel Ă©conomique. Principalement en raison de sa facultĂ© Ă  mettre en valeur les atouts touristiques des rĂ©gions oĂč il se tient.

En s’invitant dans des villages authentiques et chargĂ©s d’histoire, le festival offre au visiteur un voyage Ă  la fois dans l’espace et dans le temps. Et c’est prĂ©cisĂ©ment ce que cherche un touriste en quĂȘte de dĂ©paysement. Beaucoup parmi les visiteurs de Tiferdoud ont Ă©tĂ© d’ailleurs sĂ©duits pas l’originalitĂ© de ce village et par les paysages montagneux de la rĂ©gion oĂč il se trouve.

Dans ce village, justement, des habitants pensent dĂ©jĂ  explorer le potentiel touristique des lieux.  Mohand Ousalem  Sadali, reprĂ©sentant du comitĂ© organisateur du Raconte-arts au niveau du village nous rĂ©vĂšle que des habitants nourrissent l’espoir de voir les touristes revenir en rĂ©flĂ©chissant Ă  une formule leur permettant de louer leurs demeures Ă  bon prix. L’expĂ©rience du Raconte-arts a  Ă©tĂ©, semble-t-il, dĂ©terminante et c’est dans les yeux des festivaliers que les habitants ont entrevue tout ce que leur rĂ©gion pouvait offrir. Les possibilitĂ©s vont bien au-delĂ  des 85000 tickets de parking vendus pendant la semaine du Raconte-arts. Un chiffre livrĂ© par les organisateurs. HacĂšne Metref, l’un des fondateurs du festival a parlĂ©, quant Ă  lui,  de 100.000 visiteurs cette annĂ©e, soit plus du double du chiffre enregistrĂ© l’annĂ©e derniĂšre.

Image Raconte-arts
Photo/ Youcef Abba

Un événement pour la mémoire

Le nom du village de Tiferdoud est associĂ© Ă  Kamel Amzal, un militant connu pour son engagement pour la dĂ©mocratie assassinĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1980. Pour certains festivaliers, l’évĂ©nement Ă©tait une occasion pour se rendre au cimetiĂšre du village afin de se recueillir sur la tombe du militant, loin du bourdonnement des fĂȘtards.

Dans le village, une association porte le nom de Kamel Amzal. Parmi ses membres de dignes représentants de la jeune génération.

Non loin du cimetiĂšre se trouve la maison oĂč Hocine Ait Ahmed avait passĂ© une partie de son enfance. Autre lieu oĂč des visiteurs se sont attardĂ©s. Dans la cours de la maison, une tente avait Ă©tĂ© dressĂ©e accueillant des ateliers sur diffĂ©rents thĂšmes, animĂ©s essentiellement par des jeunes.

Au Raconte-arts de cette annĂ©e, il y avait de tout.  Du bon mais aussi quelques incidents. Des habitants d’un village voisin s’étaient rendus dans un gala avec l’intention d’y semer la pagaille. L’histoire a Ă©tĂ© vite rĂ©glĂ©e, mais elle laissera probablement quelques traces. Autre moment, autre incident; un membre du comitĂ© d’organisation du village avait commis une maladresse avec un journaliste Ă  cause d’une futile histoire de matelas. Mais rien de bien grave. De trĂšs nombreux autres villageois aimables et souriants font, sans efforts, la bonne rĂ©putation de leur village.

Certaines rues de Tiferdoud Ă©taient interdites aux festivaliers. Et des Ă©criteaux Ă©taient lĂ  pour le rappeler. MalgrĂ© tout, le Raconte-arts s’est bien dĂ©roulĂ© et le carnaval organisĂ© le dernier jour de l’évĂ©nement avait rĂ©ussi Ă  faire oublier les petites imperfections.

Le festival a Ă©tĂ© un succĂšs parce qu’il a rĂ©ussi Ă  donner une autre idĂ©e de l’art et surtout parce qu’il a rĂ©ussi Ă  attirer des milliers de personnes, artistes et amateurs d’art dans un espace aussi improbable qu’un paisible village algĂ©rien.

En dĂ©finitive, le Raconte-arts est lui-mĂȘme un spectacle en partie improvisĂ©, une Ɠuvre Ă  laquelle chacun apporte quelque chose. Tout compte fait, le Raconte-arts pourrait effectivement ĂȘtre vu comme un beau morceau de musique.