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Algérie : Le gouvernement en quête de stratégie pour les banques publiques

Par Oussama Nadjib 28 février 2017

 

Les banques publiques algériennes qui représentent toujours près de 90% des actifs du secteur bancaire national sont réduites au rôle d’exécutant passif de choix gouvernementaux dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils manquent de clarté.

 

 

 Une hirondelle ne fait pas le printemps. La semaine dernière Le PDG du Crédit Populaire d’Algérie (CPA) a annoncé que la phase initiale du projet de montage et de fabrication, sur le territoire algérien, des véhicules Volkswagen sera assurée à hauteur de 5 milliards de DA par la banque du boulevard Amirouche.

 Il faudra encore annoncer beaucoup de projets pour que les banques publiques jouent leur rôle de financement du l’investissement industriel. Dans son dernier ouvrage intitulé significativement, « Algérie : sortir de la crise », Adellatif Benachenhou mentionne le chiffre d’à peine 3% du PIB national consacré à l’investissement productif hors hydrocarbures.

 En décembre dernier, le ministre des finances faisait savoir dans un entretien accordé à l’agence officielle APS que «l’ouverture du capital des banques publiques n’est pas à l’ordre du jour » bien que, confirmait-il, « elle ait figuré dans la première mouture de l’avant-projet de loi de finances 2017».

Pour justifier cette volteface le ministre expliquait qu’ « un projet de loi de finances est vivant : il y a des propositions, des débats et des arbitrages qui se font ». M Babaammi ajoutait que l’«Algérie n’a pas fermé la porte à la possibilité d’agréer de nouvelles banques mais souhaite, toutefois, établir des partenariats avec de grandes banques internationales de premier ordre ».

Cependant expliquait -t-il, «ces banques conditionnent leur implantation en Algérie par une détention majoritaire dans le capital alors que cette condition est en contradiction avec le principe de l’établissement de l’activité bancaire sous forme de partenariat prévu par la loi de Finances de 2009 qui limite les participations étrangères à 49% pour tous les investissements étrangers ».

 

La privatisation partielle par la Bourse compromise

 

Le projet d’ouverture partielle (on parle de 20 %) du capital du CPA est également inscrit officiellement depuis maintenant plus de 3 ans à l’agenda des autorités financières algériennes. Annoncé en 2013, le programme d’entrée à la bourse d’Alger de 8 entreprises publiques, parmi lesquelles figure une seule banque, concerne aussi de grandes entreprises comme Mobilis.

 Il a connu un coup d’arrêt brutal, dès son premier coup d’essai , avec l’échec retentissant de la tentative d’introduction à la Bourse d’Alger de la Société des ciments d’Aïn-Kebira qui  a été déclarée infructueuse et retirée au printemps dernier faute de souscripteurs.

 Ce fiasco, qui semble compromettre pour au moins quelques années l’ensemble de cette démarche, a certainement donné à réfléchir aux pouvoirs publics algériens qui paraissent avoir désormais changé leur fusil d’épaule.

 

A la recherche de partenaires internationaux stratégiques

 

Les indiscrétions dont a bénéficié, fin septembre dernier, l’agence Reuters de la part d’un «officiel algérien» semblent s’apparenter à une « fuite organisée ».Tout se passe comme si les pouvoirs publics algériens avaient cherché à sonder d’éventuels partenaires internationaux dans le cadre d’une démarche qui semble avoir été redéfinie.

Il ne s’agit plus désormais de réaliser une ouverture du capital des banques publiques par le biais de la Bourse. Cette option est d’ailleurs bloquée par le cadre juridique actuel du fait de l’impossibilité pour les investisseurs étrangers d’acheter des actions à la Bourse d’Alger.

Le nouvel objectif est au contraire de négocier, de gré à gré, un ou plusieurs accords avec des banques internationales de référence en leur proposant d’entrer dans le capital des banques publiques.

Les conditions d’une telle démarche viennent d’être précisées par l’exécutif algérien à la suite selon toute vraisemblance d’un «arbitrage au plus haut niveau» : elle doit s’effectuer dans le cadre du 51/49 contrairement à ce qui avait été annoncé en septembre et ce qui était proposé par le ministère des finances lui-même.

 

Une contre-réforme du secteur bancaire public depuis 2011

 

La valse-hésitation du gouvernement algérien à propos de la privatisation des banques publiques illustre l’impasse, voire la « fuite en avant», dans laquelle se trouve actuellement engagée la gestion du secteur bancaire public. Contrairement aux attentes exprimées par beaucoup de spécialistes ainsi qu’aux recommandations pressantes des institutions multilatérales, c’est en réalité une sorte de contre-réforme du secteur bancaire public algérien qui a été mise en œuvre au cours des dernières années.

Les orientations récentes des autorités financières algériennes tournent en effet le dos à ce qui était, voici encore quelques années, le credo de toutes les banques publiques : la « banque universelle » développant à la fois ses activités en direction des entreprises, tous secteurs confondus, mais aussi des professions libérales ou encore des particuliers.

 C’était la stratégie affichée par les banques publiques algériennes pendant plus d’une décennie. A l’image de toutes les grandes banques internationales, il s’agissait d’élargir leurs domaines de compétence, renforcer leur professionnalisme, accroître leur rentabilité et diviser leurs risques.

 

Banque universelles ou banques spécialisées ?

 

Depuis quelques années, le changement de décor est complet. La concentration des crédits accordés par certaines banques publiques, sur injonction de l’Etat, au profit d’un seul secteur, voire d’une seule entreprise, risque de se révéler à l’avenir un facteur de fragilité qui semble ignorer les règles prudentielles les plus élémentaires…

 Depuis la fin de l’année 2011, en vue d’utiliser leurs ressources financières, (à l’époque) excédentaires, les banques commerciales publiques ont en effet été sollicitées massivement par l’Etat, qui est leur actionnaire unique, pour financer les investissements réalisés dans les infrastructures économiques et sociales, en lieu et place du Trésor public, qui assurait encore presque exclusivement ce rôle jusqu’à une période récente.

Après la BEA, considérée de longue date comme la « banque de Sonatrach », voilà que le gouvernement algérien a décidé en quelques mois de transformer quasiment la CNEP en banque de Sonelgaz » tandis que le CPA est appelé officiellement à devenir « une banque du logement ».

 C’est un grand retour du concept -et de la pratique- de la spécialisation bancaire en vogue dans les années 70 qui risque de transformer durablement le paysage bancaire algérien en l’éloignant de tous les standards internationaux.

 Au printemps 2013, le ministre de l’Habitat et le PDG du CPA annonçaient que la banque du boulevard  Amirouche devait prendre la tête de financements syndiqués assurés par l’ensemble des banques d’Etat au profit de la relance des programmes AADL et de logements promotionnels. Au total, 1 200 milliards de dinars (près de 12 milliards de dollars) seront versés par l’ensemble des banques publiques algériennes pour mener à bien ces projets immobiliers.

 Le CPA n’est pas la seule banque concernée par cette nouvelle orientation. La CNEP a été appelée au chevet de Sonelgaz dont elle finance depuis le début de 2012, les investissements en mobilisant ses excédents. Le délégué général de l’ABEF, M. Trabelsi indiquait qu’au total, la Sonelgaz doit bénéficier de 1.400 milliards de dinars (près de 14 milliards de dollars) de crédits bancaires garantis par le Trésor Public.

 

Sept milliards de dollars pour la microentreprise

 

L’action des pouvoirs publics algériens a pris également, au cours des dernières années d’autres formes inédites et spectaculaires. C’est ainsi que depuis le début de 2011, l’Etat a donné instruction aux banques publiques de miser massivement sur la micro entreprise. Les résultats ont été au rendez-vous et depuis 2011, ce sont près de 300 000 nouvelles microentreprises qui ont été créées.

 Le coût de ces mesures n’a pas encore fait l’objet d’un chiffrage précis. Selon nos informations, ce sont plus de 700 milliards de dinars (plus de 6 milliards de dollars) qui figurent actuellement, à ce titre, dans le portefeuille des banques publiques qui assurent 70% du financement de ce dispositif gouvernemental.

 Bien qu’il s’agisse d’un secret bien gardé et que le montant des impayés soit minimisé par les responsables des organismes concernés (Ansej et CNAC), nos sources indiquent que les défauts de paiements atteindraient déjà plus de 50 % dans plusieurs banques publiques.

 

Des risques importants

 Aux yeux de beaucoup d’observateurs, les évolutions récentes du secteur bancaire algérien sont porteuses de risques importants pour la structure du portefeuille des banques publiques et leur solidité financière.

 Le risque de renforcement du dualisme entre des banques privées, largement bénéficiaires, et des banques publiques, fragilisées par les contraintes imposées par l’Etat, est également réel.

 Les banques publiques, qui portent de longue date le fardeau du financement obligatoire des entreprises publiques imposé par l’Etat, ont été de surcroît invitées dans la période récente à supporter seules le poids des décisions récentes de financement massif de la microentreprise ou de financement des infrastructures économiques et sociales. Avec les risques que cela comporte inévitablement pour le recouvrement futur de leurs créances et leur santé financière…

 

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