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20eme grande manifestation à Alger : la marche du 5 juillet (Reportage)

Par Ahmed Gasmia 6 juillet 2019

La 20eme grande manifestation de la révolte populaire, en Algérie a coïncidé, ce vendredi, avec la fête de l’indépendance. Une date dont la charge symbolique devait être un catalyseur pour les manifestants. Elle l’a été largement.  

Aux alentours de 10 heures, à Alger-centre, l’air était épais et le soleil assommant. Pourtant, les manifestants étaient venus  très nombreux pour occuper l’espace mitoyen à la Grande poste. Pour eux, il n’était pas question de faire l’erreur de la semaine précédente en laissant les policiers contrôler le centre-ville.

Vers midi, les manifestants étaient déjà plusieurs centaines face aux dizaines de policiers bloquant l’accès à l’esplanade de la Grande poste. Drapeaux nationaux en main, les marcheurs entonnaient des chants patriotiques sans oublier les slogans abrasifs à l’intention du « système ». Très motivés, ils étaient de plus en plus nombreux. Des hommes et des femmes ne cessaient d’affluer, inondant le voisinage de la Grande poste et une partie de la rue Didouche Mourad.

Le mot d’ordre avait été donné quelques jours plus tôt, sur les réseaux sociaux. Il fallait être très nombreux ce 5 juillet. Des vidéos ont même été diffusées la veille, montrant des gens marcher à pied vers Alger, renonçant aux voitures et aux transports en commun pour éviter d’être bloqués par les barrages de gendarmerie. De quoi encourager les moins téméraires.  

Les policiers, eux aussi, étaient nombreux.  Au moins aussi nombreux que le vendredi précédent. Leurs véhicules étaient alignés  de la place Audin, jusqu’à la Grande poste. La trémie menant de la rue Hassiba Benbouali à la rue Amirouche était obstruée par des fourgons de police. Des éléments des forces anti-émeute, bâtons à la taille  et boucliers posés sur la chaussée, surveillaient les lieux.

Malgré tout, le nombre de gens venus marcher, ce vendredi, 5 juillet, était impressionnant. Et il n’était pas encore 14 heures, l’heure de la fin de la prière du vendredi et de l’arrivée du gros des manifestants.

Vers 13 heures, plusieurs dizaines de personnes étaient déjà regroupées à la place Audin. D’autres descendaient par vagues successives de la rue Didouche Mourad.

En attendant le début officiel de la marche, des débats ont été engagés entre les animateurs du Hirak algérien. On parlait de  l’avenir du pays, bien sûr, mais aussi de la dernière proposition en date faite par le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah. Les Algériens étaient invités à mener un débat en vue de décider de l’avenir du pays au moment où les autorités civiles et militaires étaient supposées rester en retrait.

Visiblement inspiré, quelqu’un a affiché sur un abribus, la liste des membres du gouvernement algérien idéal, selon son point de vue. Une initiative qui a capté l’attention. Une foule se forme devant l’affiche, des photos sont prises et, au bout d’un moment, quelqu’un demande qui est à l’origine de cette idée. Un homme se présente, un petit sourire en coin. « Pourquoi proposez-vous Lakhdar Bouregaa au poste de vice-président ? il est trop âgé», demande un homme. « C’est quelqu’un d’intègre », répond le rédacteur de la liste. « Pourquoi, vous n’avez pas mis le nom de Ali Belhadj dans votre liste », ose un deuxième. « Je l’ai appelé et il a refusé », répond l’autre. La foule partage un éclat de rire. Le débat s’engage un peu plus sérieusement sur l’idée du meilleur gouvernement possible.

Quelques minutes plus tard, des policiers arrivent en renfort à la place Audin, forment une rangée face aux fourgons et aux 4X4 stationnés de l’autre côté de la chaussée. La rangée de policiers s’étire jusqu’aux abords de la Grande poste. L’heure de la fin de la prière approche et des milliers de manifestants vont arriver sur place. On s’impatiente et on se prépare.

Vers 13H55, tous les regards sont tournés vers le haut de la rue Didouche Mourad. La foule réunie à la place Audin est déjà inhabituellement nombreuse. Elle attend l’arrivée des autres, garde le silence.  Puis, les premiers drapeaux apparaissent au loin. Des hommes, des femmes et des enfants arrivent. Ils sont là, à l’heure. Ils n’ont pas tous fait la prière du vendredi et ceux qui n’étaient pas à la mosquée, attendait devant sa porte.

Des dizaines de Smartphones sont braqués en direction de la multitude de personnes qui s’approche. Bientôt, les slogans des nouveaux arrivants se mêlent à ceux qui s’étaient réunis à la Place Audin. Et à  côté des slogans critiquant le chef de l’Etat-major de l’armée, les manifestants ont appelé à la libération de l’ancien Moudjahid Lakhdar Bouregaa, placé, il y a quelques jours en détention provisoire et poursuivi pour atteinte au moral de l’armée. Un groupe de personnes portant des tee-shirts à l’effigie de cet ancien officier de l’ALN (Armée de libération nationale) ont sillonné le centre-ville pour exiger sa libération.  

Les manifestants viennent chaque semaine avec au moins un nouveau slogan. Et en ce vendredi, un slogan a été particulièrement marquant : « le peuple veut son indépendance ». Simple, profond, évocateur.

Les manifestants ont marché vers la Grande poste en déclamant leurs revendications. Ils s’arrêtaient par moment pour huer l’hélicoptère de la police qui ne cessait de survoler le périmètre ou pour applaudir les gens qui les aspergeaient d’eau fraîches depuis leurs balcons.

Un peu plus bas, à la rue Hassiba, des milliers de personnes arrivent, se dirigeant, elles aussi, vers la Grande poste, si bien  que vers 15H00, on avait l’impression qu’il n’y avait plus assez de place pour tous les manifestants. On n’avait pas vu un nombre aussi élevé de marcheurs depuis des semaines.

Non loin de la Grande poste, un groupe de personnes forment un cercle pour discuter. Le sujet : l’incarcération de Lakhdar Bouregaa. Un nom revenu plusieurs fois, ce vendredi. « A l’époque du président Boumédiene, Bouregaa a été incarcéré, mais Boumediene n’a jamais dit que Si Lakhdar était un traître. Aujourd’hui, on l’a dit », hurle un manifestant hors de lui. A quelques centaines de mètres de là, quelque chose vient de se produire. La foule siffle, visiblement outrée. Un policier avait arraché un drapeau amazigh accroché à un réverbère. Quelques minutes plus tard, la scène se répète. Un autre drapeau arraché, un autre policier hué.  Jouer au chat et à la souris semble amuser particulièrement les manifestants. Les policiers, eux, ne paraissent pas apprécier ce jeu.

Ce vendredi, la police a procédé à l’arrestation de quelques manifestants dont certains ont été relâchés en fin d’après-midi. Une vidéo montrant des policiers tabassant des manifestants, à la rue Abdelkrim El Khetabbi, a été largement diffusée sur les réseaux sociaux. La sequence était particulièrement perturbante.

Vers 16 heures, à la rue Amirouche, les manifestants s’arrêtent brusquement pour regarder un spectacle hors du commun. Un drapeau dont tout le monde où presque parlent depuis quelques jours. Composé de 48 pièces portant chacune le nom d’une wilaya du pays, le drapeau était porté par près d’une centaine de personnes. Il capte les regards là où il passe. Policiers et manifestants s’immobilisent pour le contempler. La foule applaudit ensuite chaleureusement ceux qui ont confectionné ce drapeau et ceux qui le portent.

A la même rue, lorsque les slogans étaient devenus quelque peu répétitifs, un manifestant a brusquement crié « EL Istiklal », phrase culte du film « la batille d’Alger ». Certains parmi les présents en ont ri, d’autres ont pris un moment pour réfléchir. Manifester pour la démocratie, en Algérie, un 5 juillet, c’est parler d’indépendance, d’une autre manière.

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